Cinq bailleurs occidentaux façonnent un agenda "pro-business" pour l'agriculture africaine
Oakland Institute a publié un rapport qui dresse un bilan critique du soutien apporté par les grands bailleurs à l'agriculture en Afrique. En effet, à travers le projet EBA (Enabling the Business of Agriculture) de la Banque mondiale, des fondations privées et coopérations gouvernementales tendent à soutenir l'agrobusiness aux dépends de l'agriculture familiale africaine.
Ci-après, le résumé du rapport traduit en français :
Cinq bailleurs occidentaux (Fondation Bill et Melinda Gates, organismes de coopération des gouvernements américain, britannique, danois et néerlandais) financent le projet Enabling the business of agriculture (EBA) mis en oeuvre par la Banque mondiale. Le but de l'EBA est de créer des "politiques qui facilitent le business dans le secteur agricole et font augmenter l'attractivité pour les investisseurs et la compétitivité dans les pays." Pour cela, l'EBA s'intéresse à des domaines tels que les semences, les engrais, les marchés, le transport, l'équipement mécanique et la finance, pour déterminer si la législation des pays sur ces sujets simplifie ou non le "business agricole".
Le projet EBA illustre une tendance de plus en plus forte dans les programmes d'aide des bailleurs internationaux, qui sont devenus de puissants instruments pour imposer une vision de l'agriculture basée sur le marché et les intérêts du secteur privé. À la suite de la crise des prix alimentaires en 2007-2008, les membres du G8 rassemblés à la conférence de L'Aquila en Italie se sont engagés à soutenir les stratégies de sécurité alimentaire propres à chaque pays. Néanmoins, il a fallu peu de temps pour que cet engagement donne en fait lieu à des programmes d'aide qui, au lieu de soutenir des politiques agricoles nationales solides, favorisent des systèmes alimentaires gérés par le secteur privé et le marché. En 2012, les membres du G8 ont lancé la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition (NAFSN : New alliance for food security and nutrition), une initiative qui donne un rôle central aux entreprises de l'agroindustrie et l'agrochimie, au détriment des exploitations familiales. L'Afrique, lieu de mise en oeuvre de la NAFSN, est une des premières cibles de la poussée "pro-corporate" de plusieurs de ces bailleurs.
Le continent est marqué par la prolifération d'initiatives bilatérales et multilatérales de soutien à l'expansion de l'agrobusiness et à l'augmentation de l'usage d'intrants industriels (engrais de synthèse, pesticides, semences hybrides et OGM, etc.). Les gouvernements américain, britannique, danois et néerlandais apportent des financements directs à travers des concessions aux entreprises de l'agrobusiness et d'autres mécanismes de soutien tels que des prêts ou des assurances pour celles qui opèrent en Afrique. Souvent, les destinataires de l'argent de l'aide sont des compagnies nationales dont l'objectif assumé est de combiné cette aide à des intérêts commerciaux.
En parallèle, une proportion de plus en plus importante de l'argent des contribuables transite vers des entités aux financements multilatéraux telles que l'Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA : Alliance for a green revolution in Africa), qui sont actives dans la formation, la recherche et le plaidoyer sur l'utilisation des semences hybrides et des engrais chimiques. L'AGRA est aussi un vecteur utilisé pour gérer des initiatives multi-bailleurs comme le "fond pour les défis des entreprises en Afrique" , en anglais Africa enterprise challenge fund (AECF), qui investit dans des projets agricoles à grande échelle et la production industrielle d'intrants.
Avec la création de la NAFSN, dans laquelle l'approche EBA est largement établie, les bailleurs conditionnent de plus en plus leur soutien aux pays africains à des réformes politiques et des mesures qui facilitent la prise de contrôle par l'agrobusiness de leur agriculture. Les cinq bailleurs de l'EBA sont les fers de lance d'une campagne offensive, destinée à pousser l'expansion des activités des entreprises de l'agrobusiness en Afrique, à travers la récupération de terres pour l'agriculture commerciale, l'ouverture des marchés d'intrants des pays, la privatisation des systèmes semenciers, et des réformes de la législation sur le commerce et la fiscalité agricole, pour maximiser les profits des entreprises.
Les bailleurs considèrent qu'une "transformation agricole" basée sur le commerce globalisé et l'agroindustrie fera augmenter la croissance économique et apportera de meilleurs revenus aux paysans. Mais les conséquences de cette transformation ont de fortes chances d'être dévastatrices pour les paysans africains. L'augmentation de la pression foncière et sur les ressources naturelles, de la dépendance à des intrants agricoles onéreux et polluants, de la vulnérabilité aux chocs climatiques, de la criminalisation de la conservation des semences et des échanges de pratiques, et l'affaiblissement de la capacité des gouvernements à soutenir l'agriculture nationale, sont des conséquences probables de ce que la politique de ces cinq bailleurs, passée au crible dans ce rapport, risque de livrer au continent africain.
Creuser le sujet :
- Information, OGM en Afrique de l'ouest : les pays ne pourront plus dire non! , CFSI, 2016
- Information, Le parlement européen s'oppose au colonialisme agricole en Afrique, Euractiv, 2016
- Rapport, De l'uniformité à la diversité : un changement de paradigme de l'agriculture industrielle vers des systèmes agroécologiques diversifiés, IPES Food, 2016
- Vidéo, La banque mondiale et les travers de la coopération, SOS Faim, 2016