Moustapha Ka : émergence de micro-entreprises de transformation dans l'Est du Sénégal
Moustapha Ka est le coordinateur de la cellule du Grdr Bakel/Matam, à la frontière sénégalo-mauritanienne. Il supervise le projet « EMER-Villes » (émergence des micro-entreprises rurales pour nourrir les villes). L’objectif est de valoriser les produits de l'agriculture, de l'élevage et de la forêt et de les rendre accessibles à moindre coût dans des pôles de ventes identifiés au niveau des petites villes environnantes (Bakel, Diawara, Kanel)*.
Comment sont ciblées les entreprises rurales à appuyer ?
Au Grdr Bakel/Matam, nous avions déjà en tête des acteurs intéressants à accompagner tels que l’UTL (unité de transformation laitière) de Dembancané, pour assurer un suivi de cette expérience prometteuse, et le GIE (groupement d'intérêt économique) des femmes de Ngouronne où il existaient déjà avec l’appui du Grdr des potentialités énormes de ressources en eaux de surface pour la pratique de l’agriculture.
Fermeture des semis avec du sable fin, GIE de Ngouronne © GRDR
Nous avons aussi sollicité le réseau des cadres locaux de concertation des organisations paysannes (CLCOP) avec qui nous avions échangé sur ces idées et qui nous ont proposé deux autres GIE : l’unité de transformation céréalière (UTC) de Bakel et celui situé autour de la zone de mise en défens [interdiction temporaire pour les animaux de pénétrer sur une zone forestière] de Gandé. C’est une activité menée par les femmes qui fonctionne surtout quand c’est la saison des jujubes pour la confection de galettes.
L’unité de transformation laitière (UTL) de Dembancané est aussi gérée par les femmes ?
Oui, cette laiterie est également un GIE de femmes, la vente de lait caillé se fait par l’intermédiaire de revendeurs. Ceux-ci viennent chercher le lait le matin à la laiterie, et distribuent les produits laitiers avec leur glacière dans un rayon de 30 km. Avec le temps, la renommée de l’UTL et la qualité de sa production ont permis d’ouvrir de nouvelles zones de vente et donc d’accroître la production, ce qui a eu comme effet de réduire les coûts de fonctionnement et d’augmenter la marge bénéficiaire. L’UTL a ainsi pu traiter avec de nouveaux opérateurs économiques, dont des boutiquiers.
Séance de remplissage du journal de caisse © GRDR
Avez-vous ressenti des réticences de la part des hommes par rapport à votre projet ?
Il est vrai qu’on nous a clairement dit, à plusieurs reprises : « Nos femmes, ce ne sont pas des entrepreneuses ». Toutefois, si ce type de discours revient souvent, il n’y a jamais eu de problème lors de la mise en œuvre des activités. Ce discours ne cadre pas avec le quotidien. Et quand les hommes voient leurs femmes gagner plus, ils ne s’en plaignent pas ! En réalité, ils ne critiquent pas leur implication dans les activités que nous mettons en place si les résultats sont là. Il faut ajouter que dans leur majorité, ces groupements sont appuyés par des hommes (1à 2 personnes ressources) qui accompagnent les femmes dans les démarches pour la bonne marche de l’activité, car ils sont conscients pour la plus part que les revenus des femmes participent à l’amélioration du niveau de vie des ménages.
Quels sont vos atouts dans la réalisation du projet ?
Le premier atout du Grdr est son ancrage local et historique fort au niveau du bassin du fleuve. Les acteurs (populations et collectivités locales) ont largement connaissance du travail et des efforts que nous fournissons quotidiennement pour l’amélioration des conditions de vie et la lutte contre la pauvreté notamment en milieu rural. L’approche du Grdr qui met les bénéficiaires au centre (pour une autonomisation et une pérennisation des actions) nous vaut un jugement favorable et donne une légitimité à notre action ; raison pour laquelle aussi ils se montrent disponibles à travailler avec le Grdr Bakel/Matam.
Cela est aussi lié au fait que dans l’essentiel de ces communautés rurales, le Grdr accompagne le processus de planification locale. Ce dernier consiste en la mise en œuvre d’un diagnostic participatif d’identification des besoins, et d’élaboration d’un plan de développement qui met l’accent sur les priorités des populations. Le projet EMER-Villes lui-même a été monté suite à cette identification des priorités, ainsi les populations se reconnaissent mieux dans le projet car étant une émanation d’un processus au quel elles ont participé.[...]
Propos recueillis le 14 août 2012 par Mathilde Leclerc et édités le 7 avril 2014 par Hélène Basquin
Pour creuser le sujet :
- Voir la revue Grain de sel (Inter Réseaux) "Valorisation des produits locaux : face aux défis, une diversité de solutions"