Ancrage territorial du modèle contractuel rizicole sénégalais : une perspective géographique et relationnelle
Publié dans Cahiers d’Agricultures en 2021, cet article de recherche fait le point sur l’organisation de la filière riz au Sénégal par la contractualisation riziculteur-coopérative. Ces contrats participent-ils réellement à l’amélioration de la productivité agricole et au développement durable du territoire ?
La mise en place des modèles contractuels rizicole au Sénégal…
Depuis le 20ème siècle et le début de la production de riz par les colons, cette denrée est un produit agricole et alimentaire stratégique pour le Sénégal. Pourtant, sa production ne peut couvrir que 35 % des besoins nationaux. Les modèles contractuels apparaissent comme une réponse au développement de la filière rizicole, de par la création d’emplois, de richesses et la possibilité de tendre vers l’autosuffisance alimentaire. Ces modèles de contractualisation agricole se sont imposés au Sénégal comme des marqueurs de réussite. Il s’agit d’accords écrits, garantissant aux entreprises des droits exclusifs sur une part donnée de la production d’un agriculteur ou d’une organisation de producteurs (OP), en échange de fournitures de services ou de prêts « d’intrants ». Ils sont vus comme des facilitateurs dans la coordination des filières agricoles mais également comme une solution réelle pour la réduction de la pauvreté des populations paysannes et rurales. Deux modèles contractuels sont proposés aux Sénégalais : le modèle mixte, structuré par la banque agricole d’État et associant producteurs rizicoles, opérateurs privés et institutions parapubliques, et le modèle privé, aussi appelé contrat de préfinancement, mis en place par des coopératives ou des entreprises et impliquant des producteurs.
…montrant des limites dans la prise en compte des spécificités propres à chaque territoire…
Cependant, ces modèles posent question au Sénégal. Dans un premier temps, ils remettent en cause les relations déjà existantes sur ces territoires, souvent orales et basées sur la confiance. Chaque territoire s’est en effet construit différemment, sur un temps long. Imposer des contrats agricoles revient à transformer un espace géographique, par l’adoption de nouvelles formes d’organisations et d’échange. C’est pourquoi certaines OP et ONG sont critiques vis-à-vis de ces modèles. Elles insistent sur la nécessité de prendre en compte les spécificités de chaque territoire, à savoir les contextes politique et agricole, les moyens d’actions pouvant être mis en œuvre et la structure du marché déjà existante. Á titre d’exemple l’étude compare deux territoires porteurs de ces modèles : le bassin de l’Anambé et le département de Dagana. Le premier territoire est plus méfiant vis-à-vis de l’Etat et des institutions de marché pour trois raisons :
- le bassin de l’Anambé est assez pauvre en ressources agricoles pauvres et est soumis à un déséquilibre dans la répartition et la gestion des terres
- l’accès à ces modèles contractuels a été plus tardif dans le bassin de l’Anambé
- une moins bonne association d’acteurs dans le bassin de l’Anambé, ne permettant ni de répondre aux attentes des producteurs ni de les guider dans l’accès au crédit et à la mise en marché.
Ces deux territoires se sont vu imposer les mêmes modèles contractuels mais n’ont pas obtenus les mêmes résultats du fait de dispositions différentes.
Ce sentiment de méfiance vis-à-vis du système d’acteur mène certaines OP à montrer une baisse d’intérêt pour les réseaux de contractualisation formels et à recourir à des réseaux informels, correspondant aux relations familiales, amicales ou de voisinages. Dans de nombreux cas, nous retrouvons de « l’informel dans le formel ». La complémentarité des deux réseaux aide les producteurs à accéder plus facilement à des ressources, telles que des semences ou du matériels agricoles, et à couvrir l’intégralité de leurs besoins en financement, défis généralement compliqués lorsqu’ils n’ont recours qu’aux réseaux formels.
…et devant absolument miser sur la proximité pour créer une relation de confiance entre les différentes parties.
Ainsi, l’étude conclut que pour faire accepter ces modèles contractuels aux organisations paysannes et aux producteurs, il faut avant tout établir une relation de confiance entre les différentes parties impliquées. Miser sur la proximité est donc essentiel : acheter à un prix juste et rémunérateur, proposer des services de conseil, d’encadrement ou de formation aux producteurs, investir dans le développement local, etc... Mais aussi mettre en place des labels et des certifications de qualité et rendre plus flexibles les contrats afin de permettre une meilleure gestion des risques aux différentes parties. Ces conditions permettraient de tisser des liens avec la communauté locale pour, in fine, maîtriser et adapter des contrats en respectant les dynamiques et les caractéristiques de chaque territoire.
Voir l’article de recherche en français (9 pages)
Voir la thèse complète (361 pages)