Au Sénégal : Une huile de qualité en mal de reconnaissance
L'Union des groupements paysans de Méckhé (UGPM) s’est donné pour objectif d’aider les familles rurales à développer leurs exploitations agricoles. Pour ce faire, elle soutient la valorisation de leurs produits, parmi lesquels l’arachide. C’est dans ce cadre que le groupement a porté dès 2013 un projet destiné à promouvoir la commercialisation d’une huile d’arachide de qualité produite par les exploitations familiales de la région de Méckhé. Le secrétaire général de l’UGPM, Ndiakhaté Fall, nous a fait part des difficultés que rencontre cette huile artisanale à s’insérer dans les circuits de vente officiels.
Est-ce que les politiques nationales soutiennent le « consommer local » ?
Des mesures sont mises en place pour soutenir certaines spéculations. Si nous prenons l’oignon ou la pomme de terre par exemple, l’État bloque les importations de ces produits au mois de février pour l’un et au mois de juillet pour l’autre. Cela permet aux producteurs sénégalais d’occuper le marché local. Pour les autres produits il n’y a pas de volonté manifeste de soutenir la production nationale. Pour exemple, une quantité importante de riz est produite dans la vallée du fleuve Sénégal mais les importations ne sont jamais bloquées pour favoriser sa commercialisation. Aucune mesure n’est prévue pour inciter ou contraindre les commerçants à acheter ce riz local. Dans le même temps, les riziculteurs sénégalais rencontrent des difficultés pour obtenir des autorisations de vente. Ce problème se pose également pour l’huile d’arachide artisanale dont la production est soutenue par l’UGPM dans la zone de Méckhé. Nous n’avons pas obtenu l’autorisation de fabrication et de mise en vente indispensable pour une diffusion à grande échelle, dans les circuits formels de distribution. Sans cette autorisation, nous ne pouvons faire la publicité de notre huile. Pour contourner cela, nous vendons de faibles quantités d’huile à des consommateurs avertis de sa qualité. Nos principaux clients vivent dans la région et viennent s’approvisionner auprès des producteurs. L’huile s’exporte aussi vers Dakar et Thiès par l’entremise de nos ambassadeurs. Il s’agit de natifs de la région établis ailleurs. Au moment de la mise en place du projet au début des années 2010, ils ont été sensibilisés sur la qualité de cette production et les retombées possibles sur le développement de Méckhé. Ces ambassadeurs ont par la suite diffusé ces informations dans leurs lieux de résidence.
Pour quelles raisons le ministère du Commerce refuse d’accorder l’autorisation de vente à votre huile certifiée ?
Selon nous, ce refus peut être lié aux actions de lobbying des industriels. Ces derniers souhaitent que les organisations paysannes (OP) se limitent à la première transformation de l’arachide à l’huile pour qu’ils la raffinent ensuite. Ce schéma, plus profitable aux industriels qu’aux paysans, ne nous convient pas. Il pénalise à la fois producteurs et consommateurs. Des exigences nutritionnelles sont également avancées pour justifier ce refus. L'OMS recommande en effet que certains aliments de base, dont les huiles, soient enrichis en vitamine A. Dans cette logique, un décret du ministre du Commerce datant de 2009 rend obligatoire l’amendement des huiles comestibles en vitamine A sur le territoire national. Or pour l’Institut de technologie alimentaire (Ita), l’enrichissement en vitamine A de l’huile d’arachide est inutile puisqu’elle en contient naturellement. Face à un tel argumentaire, nous soupçonnons les autorités de priver les transformateurs artisanaux de ces autorisations afin de les évincer de la filière.
La démarche de qualité de l’UGPM s’est-t-elle soldée par une augmentation de la consommation d’huile d’arachide dans le pays ?
Par le passé, l'huile d’arachide produite par les industriels était principalement destinée à l’exportation. Son prix la rendait inaccessible pour une grande partie des Sénégalais. Dans le même temps, les transformatrices traditionnelles qui produisaient cette huile se souciaient peu de la qualité. Sans filtrage, l’huile produite était peu attractive. La démarche engagée par l’UGPM a amélioré l’aspect visuel et la qualité des huiles produites par les transformatrices, tout en diminuant son prix. Ces évolutions ont amené les consommateurs à acheter de l’huile d’arachide. Ils commencent à prendre conscience du gain économique de l’utilisation de cette huile et lui reconnaissent une qualité supérieure aux huiles végétales importées. Par exemple, la préparation de trois kilos de riz nécessite un litre d’huile végétale importée là où trois quarts de litre d’huile d’arachide suffisent. Nous nous appuyons sur ces éléments pour diffuser notre huile auprès de nouveaux consommateurs mais aussi pour montrer à l’État qu’elle peut être présente sur le marché aux côtés des huiles industrielles.
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Pour creuser le sujet :
- Fiche entretien, Huile d’arachide : le défi de la qualité sanitaire, 2015
- Fiche innovation, Une huile d’arachide labellisée, 2014