Le Sénégal peut nourrir le Sénégal
Le pays a tous les atouts pour être autosuffisant. A condition de rompre avec les importations de riz à prix cassé et de changer de politique agricole.
Photo : Périmètre irrigué dans la basse vallée du fleuve Sénégal
Les Sénégalais ont un problème avec leur alimentation. Le riz représente à lui tout seul la moitié de leur consommation de céréales (51 % en 2013/2014), le reste se partageant entre mil, maïs et sorgho (32 %) et blé d’importation (17 %). Or ils ne produisent que le quart de leur consommation de riz. Cette dépendance alimentaire forte est un héritage du passé colonial. L’administration de l’AOF a poussé le pays à cultiver l’arachide pour les besoins de la métropole et fait venir massivement du riz d’Indochine pour nourrir les travailleurs. Plus précisément de la brisure, c’est-à-dire le grain cassé lors de l’opération du décorticage, moins cher que le riz entier.
Le colon est parti mais la brisure est restée. Très appréciée et facile à préparer, elle est une base de l’alimentation, surtout chez les citadins dont le nombre explose et atteint désormais 44 % de la population. Dans un pays qui mange près de 1,3 million de tonnes de riz par an, cette dépendance coûte cher. En 2013, la facture des importations de riz s’est élevée à un demi-milliard d’euros, soit la moitié du déficit de la balance courante ou 5 % du produit intérieur brut du pays. Pourtant, le Sénégal pourrait être autosuffisant.
En quittant Dakar et en remontant vers le nord, la végétation parcourue de grands baobabs, neems et manguiers cède peu à peu la place à un paysage désertique et plat comme la main. Mais il ne faut pas se fier aux apparences. C’est ici que coule, d’est en ouest, le fleuve Sénégal, marquant la frontière avec la Mauritanie. De l’eau en abondance, de la chaleur, des terres argileuses : la vallée offre d’immenses possibilités pour la culture irriguée. Les superficies aménageables sont estimées à 240 000 hectares. De quoi couvrir les besoins nationaux, d’autant que les rendements moyens dans la vallée du fleuve, 6 tonnes par hectare ont une forte marge de progression. Ils ont doublé au cours des trente dernières années mais pourraient atteindre voire dépasser les 10 tonnes si la double culture se développait. Elle est aujourd’hui très marginale en raison du manque de moissonneuses-batteuses, seul moyen de récolter rapidement en juillet pour pouvoir ressemer à temps.
Mais ce potentiel reste théorique. Jusqu’à l’envolée des cours mondiaux dans la seconde moitié des années 2000, le riz de la vallée n’est jamais parvenu à être vraiment compétitif par rapport aux importations. Et donc à rentabiliser les coûteux aménagements hydro-agricoles réalisés depuis les années 1970 par une société publique, la Saed, avec l’argent de l’aide internationale.
Ces aménagements publics ont ainsi progressé très lentement ces quarante dernières années. Ils ont fait l’objet de distributions collectives, sur la base d’un quart d’hectare par adulte, ce qui permettait tout juste d’assurer les besoins d’autoconsommation des familles bénéficiaires, une fois remboursés en nature engrais, redevance pour l’eau d’irrigation, charges d’entretien des parcelles, mais non de produire des excédents commercialisables.
Certes, en 1989, la mise en service du barrage de Diama, à l’embouchure du Sénégal, a changé la situation. L’élévation du niveau de l’eau a transformé en canaux naturels d’anciens bras asséchés du fleuve dans la région du Delta (la région de l’estuaire), ce qui a multiplié les superficies irrigables, qui plus est sans pompage dans le fleuve, donc à coût moindre. Cette opportunité a permis à des notables, des entrepreneurs locaux et des paysans riches de réaliser des aménagements privés et d’exploiter de grandes superficies. Cependant, à la différence des périmètres de la Saed, réalisés dans les règles de l’art, ceux des « privés » ont été faits à la sauvette, sans effectuer les indispensables mais coûteux travaux de drainage. Si bien qu’au bout de quelques campagnes, la salinisation des parcelles rendaient celles-ci impropres à la culture.
Article issu du numéro spécial d'Alternatives Economiques "Agriculture familiale, le défi", réalisé en partenariat avec le CFSI, dans le cadre de l'Année Internationale de l'agriculture familiale.