Contribution des systèmes de distribution alimentaire à la sécurité alimentaire des villes : le cas d'Abidjan
Les circuits de distribution de produits alimentaires frais sont polycentriques à Abidjan, gouvernés par des réseaux de relations interpersonnelles. Cela répond à la préférence des citadins pour un approvisionnement de proximité et aux difficultés de circulation dans l’agglomération.
Abidjan connait une explosion démographique qui se traduit par un développement spatial important et des problèmes d’aménagement. Y assurer la sécurité alimentaire constitue un enjeu important, notamment en matière de commercialisation et d’approvisionnement. Néanmoins, d’après les observations de terrain, et malgré une urbanisation galopante et le plus souvent chaotique, l’espace urbain abidjanais n’est pas saturé.
Relative inertie de la consommation
Au niveau national selon les bilans alimentaires moyens estimés par la FAO, on observe une forte inertie dans la composition des rations alimentaires dont l’essentiel (75 %) est constitué par les céréales, tubercules, huiles et sucre (Figure 2).
Le régime alimentaire de la capitale se distingue par une consommation plus élevée de riz, de viande et de poisson, alors que la structure de consommation ne diverge pas fondamentalement pour les autres catégories d’aliments. La transformation des systèmes alimentaires ne peut pas être seulement analysée à travers le prisme de l’urbanisation. L’analyse fine de l’enquête budget consommation montre que la part des produits importés dans la valeur totale de l’alimentation n’est pas plus élevée à Abidjan que dans le reste du pays.
Dépendance aux importations centrée sur un nombre restreint de produit
Le solde des échanges commerciaux par grandes catégories de produits montre que le déficit est très élevé (plus de 50 % de la consommation) pour quatre groupes de produits : céréales (riz et blé), lait, poisson et abats. On note une dégradation de la balance commerciale au cours de la dernière décennie pour les graisses animales et les légumes.
Pour les autres produits, la croissance de la demande alimentaire a nécessité une forte mobilisation des campagnes. Le secteur agricole occupe 46 % de la population active du pays et est une source de revenus pour les deux tiers d’une population à 50,3 % rurale (République française 2015). L’accroissement de l’offre de produits vivriers repose sur un élargissement des aires d’approvisionnement même pour des produits dits périssables comme la tomate dont les circuits s’étendent vers les zones de savanes à plusieurs centaines de kilomètres de la capitale.
La place de marché, clef de voute des systèmes de distribution
Si 83 % des personnes interrogées déclarent acheter des aliments en dehors des places de marché, l’alternative la plus importante est l’achat auprès de vendeurs de rue, un mode de distribution qui peut être considéré comme une extension des réseaux de détaillantes qui opèrent sur les marchés.
L’achat auprès de producteurs demeure très marginal. Il en va de même pour les achats de produits alimentaires dans les GMS qui ne sont pratiqués que par 15 % des acheteurs pour les supermarchés et 11 % pour les hypermarchés (vraisemblablement avec une fréquence moindre que les places de marché).
Les consommateurs qui achètent des produits alimentaires dans les GMS ne sont pas nécessairement ceux qui sont équipés d’un réfrigérateur. Si l’on considère que la possession d’un réfrigérateur est le signe d’un certain niveau de vie, on peut donc en déduire que pour l’alimentation il n’y a pas encore une forte segmentation entre les différents types de circuits de distribution.
La proximité déterminante, la grande distribution comme un complément
La proximité est un élément déterminant dans le choix des places de marchés. La plupart des Abidjanais combinent plusieurs points de vente, les aires de chalandise ne sont pas disjointes, mais se superposent, les consommateurs arbitrant en fonction d’une batterie de critère dont le prix, mais pas seulement. Les formes alternatives de distribution, les GMS en particulier, viennent s’ajouter à cet éventail d’option plutôt que substituer à la place de marché qui est utilisée de façon quotidienne par les Abidjanais. La place des supermarchés reste marginale.
Résilience des circuits informels
Les réseaux informels ont répondu à la croissance de la demande par une extension des aires d’approvisionnement à l’ensemble du pays voire de la sous-région, la production localisée en zones périurbaines étant réservée aux produits les plus fragiles, périssables en termes de transport (poulet de chair, légumes feuilles).
Cependant, les pouvoirs publics voient dans ces capacités d’adaptation et de résilience des circuits informels la marque d’une autonomie qui remet en cause les prérogatives de l’État. Le respect des normes sanitaires, les pertes de produits, les marges élevées attribuées à la multiplication des intermédiaires dans ces circuits sont des arguments mis en avant de façon récurrente pour justifier la nécessité de « moderniser » les circuits.
Quelle modernisation ?
Les instances gouvernementales soutiennent un grand projet de refonte du système de production et de commercialisation dont la réalisation phare est la construction d’un marché de gros « à l’extérieur des murs d’Abidjan (environ 30 kilomètres) »
Les auteurs de l’étude font valoir que, dans une agglomération déjà fortement étalée et découpée par la lagune, la circulation et le coût du transport sont une des contraintes maintes fois exprimées par les détaillantes ; dans ce contexte le maintien d’une répartition des flux de gros déconcentrés et multipolaires, généralement aux heures de trafic bas peut être défendue en termes d’efficacité logistique.
La modernisation du système actuel de distribution en réseaux encore peu formalisés ne doit pas viser à une concentration des flux autour de marchés de gros, mais doit privilégier la conception de systèmes déconcentrés et coordonnés en concertation avec les acteurs du commerce et les municipalités.
Cette étude a été réalisée dans le cadre du programme de recherche sur « Les systèmes de distribution alimentaire en Afrique : repenser le rôle des marchés dans l’infrastructure commerciale ».