Démocratisation des produits bio locaux
Awa Thiandoum est issue d’une famille paysanne. Après des études de géographie, elle se forme à l’agriculture et à la transformation des produits agricoles auprès des MFR. Awa connaît depuis toujours l’agriculture biologique et milite pour un retour aux pratiques agricoles durables et saines. Depuis 2012, elle coordonne le Réseau des femmes en agriculture biologique et commerce équitable (Réfabec) implanté à Thiès, un des plus grands centres urbains du Sénégal, situé à 70 km à l’est de Dakar.
Djibril Thiam est coordinateur de l’ONG Agrecol Afrique. Agrecol, est une ONG sénégalaise qui travaille à la promotion de l’agriculture biologique et de l’économie sociale et solidaire. Depuis 2005, Agrecol développe la commercialisation des produits issus de l’agriculture biologique en appuyant le Réfabec..
Comment s’est constitué le réseau de femmes qui commercialise les produits bio ?
Awa Thiandoum : Depuis une décennie en Afrique, on observe une féminisation de la pauvreté. Les femmes sont de plus en plus vulnérables. Dans la ville de Thiès, le Réfabec s’est emparé très tôt de ce problème. Ce réseau a pour but de développer des stratégies pour aller vers une plus grande autonomie. Les membres du Réfabec ont pris leur destin en main, sans l’aide de leur mari. Elles cultivaient depuis longtemps les jardins familiaux selon les principes de l’agriculture biologique, en partie pour leur propre consommation et en partie pour la vente. Mais elles faisaient face à d’importantes contraintes, dont un manque de valorisation de leurs produits. La volonté de contribuer davantage aux besoins de leur famille les a donc rapidement poussées à se regrouper. Cinq GIE de quartier ont vu le jour, appelés « clubs bio ». Ces GIE se sont ensuite fédérés pour constituer le Réfabec.
Pour diversifier leurs sources de revenus, les femmes se sont tournées vers la transformation des céréales et des légumes. Elles se sont rapidement heurtées à des problèmes d’approvisionnement en produits bio. Pour dépasser cet obstacle, Agrecol a facilité leur rapprochement avec des producteurs bio de la périphérie de Thiès. Désormais les 90 femmes membres du réseau travaillent avec 212 producteurs. Nous oeuvrons ainsi au développement de circuits de commercialisation bio locaux entre zones rurales et zones urbaines.
Comment ces produits biologiques locaux sont-ils commercialisés ?
Djibril Thiam : Les femmes organisent chaque semaine un marché dans la ville de Thiès. La mairie a cédé un espace situé à 600 mètres du marché principal, en plein centre ville. Ce marché attire environ 100 clients réguliers par mois. Les consommateurs qui font le choix d’acheter bio sont à la fois des sénégalais au niveau de vie moyen, des cadres ou des fonctionnaires, et des familles plus modestes, tous soucieux de leur santé.
Awa : Pour que nos produits restent abordables, nous calons nos prix sur ceux des marchés conventionnels. Nous organisons une veille et nous nous attachons à ne jamais dépasser les prix de l’agriculture conventionnelle de plus de 10 à 25 FCFA par kilo. Nous cherchons aussi à ne jamais léser les producteurs, les femmes du Réfabec ou les consommateurs. Les producteurs bio fournissent un travail important, la durée de leur récolte ainsi que les cycles culturaux diffèrent de la production conventionnelle. C’est pourquoi nous organisons des rencontres pour que producteurs et consommateurs échangent sur leurs attentes et leurs contraintes. Le but du projet n’est pas de créer un marché de niche comme on peut l’observer en Europe, mais de développer un marché avec des produits de meilleure qualité accessibles à toutes les bourses.
Quels sont les résultats des différentes unités économiques ? Sont-elles pérennes ?
Djibril : Au cours de l’année 2014, plus 60 tonnes de céréales et 12 tonnes de légumes ont été achetées et vendues par le Réfabec. Grâce au moulin à céréales, le couscous produit peut approvisionner les bases militaires de la ville.
En 2014, le restaurant bio a attiré 10 800 clients. La boutique de produits transformés enregistre quant à elle un chiffre d’affaire d’un million trois cent mille FCFA (2 000 euros). Grâce à l’unité de transformation, les femmes ont obtenu un bénéfice net de 2 000 euros pour l’année 2014. [...]
Propos recueillis en mai 2015 par Camille Bureau (CFSI), édités en juin 2015. Photos © Autre Terre
Creuser le sujet :
- Témoignage, Marier économie sociale et solidaire et agriculture biologique au Burkina Faso, 2013
- Etude, Les consommateurs du Ghana et du Bénin sont-ils prêts à payer pour des légumes biologiques ?, 2011
- Fiche innovation, Sensibilisation des urbains à la consommation locale par une boutique-bar-restaurant, 2013