Quand l'agroalimentaire breton rime avec division
Les difficultés du secteur, particulièrement médiatisées ces derniers mois, laissent entrevoir des stratégies divergentes remarque Transrural Initiatives. Certains groupes agro-industriels se démarquent en ouvrant la porte à un rééquilibrage de pouvoir au sein des filières.
Fermetures d’abattoirs, protestations contre la fin des aides aux exportations et mise en place de mesures nationales de soutien à la filière volaille export, manifestations contre « l’éco-taxe »… Ces derniers mois ont mis en lumière les difficultés du modèle agricole breton, en particulier celles rencontrées par les industries agroalimentaires.
S’appuyant sur des productions à bas prix, des volumes importants, avec peu de transformation et destinées à l’exportation, ce modèle a largement été commenté dans la presse (et souvent présenté comme une « victime » de la concurrence déloyale de pays tiers se permettant de produire à des coûts encore plus réduits…). À une époque où 80 % de la volaille consommée en restauration collective en Bretagne est importée de pays d’Europe du
Nord, certains groupes agro-industriels bretons se sont engagés depuis quelques années déjà dans des productions de meilleure qualité, à l’image du volailler LDC (poulets de Loué, mais aussi de Janzé en Bretagne) ou de la coopérative laitière Even dans le Finistère.
Anticiper et miser sur la valeur ajoutée
Pour Michel Boissel, administrateur de Even, il n’y a pas de secrets : « Il faut rechercher de la valeur ajoutée et vendre le produit ; ça nous permet de rémunérer sans problèmes nos producteurs, avec une marge nettement supérieure à nos concurrents qui font de la poudre de lait, alors qu’on manque de crème de lait de vache en Bretagne ! » Le groupe Even, qui compte 1 500 adhérents et 5 200 salariés, s’est depuis plusieurs années orienté vers la production de produits de marques et d’ingrédients secs destinés à la transformation.
« Sortir de la “ PACodépendance ” par des rémunérations correctes » était l’un des leitmotifs de Jean Le Vourc’h, ancien président du conseil d’administration d’Even. Pour ce faire, Even a créé en 2009 avec deux autres grosses coopératives (Terrena et Triskalia) un outil commun de transformation et de commercialisation : Laïta (qui gère les marques Paysan breton, Mamie Nova et Régilait).
Les analyses de marchés des produits de base ne sont pas récentes et l’annonce de la fin des restitutions aux exportations ne date pas d’hier ; pourtant, tous les groupes n’ont pas opéré de réorientation.
« Ce sont les “ hommes ” qui sont aux commandes qui font la différence », estime Michel Boissel. Certes, chaque organisation a tendance à se « reproduire » à l’identique, les responsables en place recherchant plutôt dans leurs semblables pour les remplacer (souvent après de longs mandats). Mais l’afflux constant d’argent public a fortement contribué à prolonger ces systèmes, avec comme justification le maintien d’emplois (alors même que le secteur de l’agroalimentaire en Bretagne perd des emplois depuis 2005…).
Se démarquer
Aujourd’hui, ces industriels de l’agroalimentaire breton « innovants », chantres d’un « libéralisme responsable », qui produisent ce que les consommateurs peuvent acheter, en rémunérant correctement les producteurs et les salariés, en prenant davantage soin de l’environnement (« tant que ça permet de faire des économies »), se désolidarisent de leurs collègues plaidant pour toujours moins de contraintes, moins d’impôts et plus d’aides. Ils
entrouvrent la porte à un dialogue social, territorial, favorable à une répartition des pouvoirs moins déséquilibrée entre les différentes composantes du modèle mais ne semblent pas non plus être les éléments fondateurs d’une société plus solidaire.
Article de Michel Carré (AFIP Bretagne) paru dans le numéro 432 de Transrural Initiatives décembre - janvier 2014
Voir le sommaire du numéro de décembre-janvier 2014
Creuser le sujet :
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