Production d’agrocarburants et accaparements de terres en Guinée, conséquences de la politique énergétique de l'UE
En 2009, l’UE s’est fixé comme objectif de porter à 10 % la part des énergies renouvelables dans sa consommation énergétique d’ici 2020. Dans le secteur des transports, cela s’est traduit par une législation qui promeut l’utilisation des carburants d’origine végétale : les agrocarburants. Cette législation, aubaine pour l’agro-industrie, a pour conséquence d’encourager des acquisitions massives de terres qui menacent la sécurité alimentaire de nombreuses populations…
En partenariat avec SOS Faim et la COPAGEN, le CFSI publie une étude basée sur un cas d’accaparement de terres en Guinée. Négocié dans la plus grande opacité, le protocole d’accord signé entre le gouvernement et l’investisseur italien laisse les paysans sans indemnisation et sans protection juridique.
Des acquisitions massives de terres illégales réalisées dans la plus grande opacité
En République de Guinée, l’entreprise Guinée Énergie S.A, filiale du groupe italien Nuove Iniziative Industriali SRL (NII), a acquis de vastes espaces afin d’y cultiver le jatropha pour ensuite le transformer en agrocarburant qui sera exporté vers l’Union européenne.
Bien que le flou reste total sur les superficies cédées, les 74 504 hectares de terres recensées ne seraient que de la partie émergée de l’iceberg. Le protocole d’accord établi en 2010 entre le Ministère de l’Agriculture et Guinée Énergie S.A mentionne une surface totale de plus de 710 000 hectares, soit plus de 11% des terres arables du pays…La majorité de ces investissements serait néanmoins illégale d’après des dispositions limitant toute cession de terres à des entreprises à 10 000 hectares.
Des paysans sans terres, sans protection juridique et sans indemnisations
Près de la moitié des guinéens vivent sous le seuil de pauvreté et plus de 15 % d’entre eux sont sous-alimentés. La majorité de la population vit de l’agriculture (80 % des actifs).
Les terres cédées à Guinée Énergie S.A sont en majeure partie des domaines communautaires, utilisés comme zones de pâturage ou pour la culture vivrière. Si elles sont détenues de manière coutumière par les communautés et les familles, il n’en existe pas de preuve légale. Les premiers intéressés ne disposent pas des informations ni des documents nécessaires pour faire valoir leurs droits en cas de litige. Aucune des communautés rencontrées ne sait pour quelle durée les terres ont été cédées. Le protocole d’accord ne mentionne aucune indemnisation monétaire.
Une issue incertaine
En 2010, tout semblait prêt à démarrer, mais plus aucune activité significative de Guinée Énergie n’a été signalée depuis fin 2012. Les raisons de cette halte soudaine du processus d’investissement restent indéterminées. Toujours est-il que, localement, les terres sont toujours affectées à Guinée Énergie.
Ce projet cumule toutes les caractéristiques de l’accaparement de terres :
1. il est nécessairement condamné à violer le droit à l’alimentation étant donné son ampleur, sa nature, sa destination.
2. la cession des terres repose sur le consentement préalable, libre mais non éclairé des usagers comme le dénoncent des personnalités locales (sous-préfet de Tiro, enseignant de Bèlèya).
3. aucune évaluation minutieuse des impacts sociaux, économiques et environnementaux n’a été menée et rendue publique.
4. la procédure d’investissement n’est pas transparente, les engagements ne sont pas clairs et l’issue du projet reste, à ce jour, incertaine.
5. la planification démocratique, la participation significative et la supervision indépendantes sont absentes du projet.
Face à une telle situation, les organisations de la société civile européenne demandent la mise en cohérence de la politique énergétique de l’UE avec ses objectifs de développement, et la société guinéenne réclame plus de transparence.
Pour creuser le sujet
Voir le rapport Action Aid sur NII au Kenya
Témoignage, Main basse sur les terres : Stefano Liberti dénonce le nouveau colonialisme, 2013
Film, Planète à vendre, 2012
Sensibiliser, Deux minutes pour ressentir l’accaparement des terres,2013