Quand l'Inra passe sous silence une étude qui dérange
L'Institut national de la recherche agronomique (Inra) refuse de publier les résultats d'une étude participative de plusieurs années sur les flux de pollen de maïs.
Photo : Les semences paysannes de maïs contaminé par des OGM risquent de devenir des vecteurs transgènes. © LoggaWiggler
Les cultures d’organismes génétiquement modifiés (OGM) peuvent-elles cohabiter sans contamination avec des cultures non OGM ? En France, depuis 2008, la culture du maïs Mon810, seule plante transgénique actuellement autorisée au sein de l’Union européenne, est interdite. Mais la question de la coexistence reste une pierre d’achoppement entre les pro et les anti-OGM. Face aux risques de contamination (liés aux flux de pollen) avérés chez différentes espèces végétales, les promoteurs des OGM prônent des « mesures de coexistence » telles que la mise en place de zones tampons entre les cultures, de hautes haies pour stopper le pollen ou encore de territoires entièrement dédiés aux cultures transgéniques.
Effet cumulatif
En 2007, Agrobio Périgord, association de développement de l’agriculture biologique en Dordogne, et le Réseau semences paysannes (RSP) ont sollicité l’Inra pour réaliser une expérimentation destinée à caractériser les flux de pollen entre des cultures de maïs d’une variété hybride de couleur jaune, issu de semences du commerce, et de Grand Cachalut, une variété à épis blancs du Gers, issue d’une sélection paysanne. Il s’agissait, par suivi des couleurs des grains dans les épis, d’évaluer la contamination des cultures de Grand Cachalut par le maïs hybride et d’observer ses effets sur plusieurs années en ressemant une partie des récoltes.
Par extrapolation (le maïs hybride représentant le maïs transgénique), cette expérience devait permettre d’aller plus loin que les études actuelles sur la coexistence entre cultures OGM et non OGM qui ne tiennent pas compte du fait que certains paysans cultivent des variétés populations qu’ils ressèment à partir de leur récolte.
L’Inra, Agrobio Périgord et le RSP se sont engagés dans une convention tripartite et, durant quatre ans, sur un à deux sites expérimentaux, du maïs hybride a été planté à 50 et 200 mètres de parcelles de Grand Cachalut dont les semences étaient ensuite ressemées à proximité ou non d’une parcelle de maïs hybride.
Elodie Gras d’Agrobio Périgord relate : « L’expérience a démontré que le maïs à grains blancs implanté à courte ou moyenne distance d’une parcelle de maïs hybride se faisait contaminer, donnant lieu à des épis comportant des grains jaunes. Lorsque ce maïs contaminé était ressemé l’année suivante, on a observé, et ce qu’il soit à proximité ou isolé d’une parcelle de maïs hybride, que le nombre de grains de maïs jaunes sur les épis augmentait par rapport à l’année précédente, démontrant un probable effet cumulatif exponentiel de la contamination au fil du temps. » À certains endroits des parcelles, les taux de contamination du Grand Cachalut par le maïs hybride pouvant atteindre jusqu’à 0,75 % à l’issue de la première année, l’effet cumulatif au fil de campagnes de semis successifs pourrait à terme donner une récolte dépassant 0,9 % de contamination, seuil d’étiquetage OGM obligatoire.
Semences paysannes transgéniques
Cette expérience permet d’avancer qu’un agriculteur en autoproduction de semences risque, si ses cultures ont été contaminées par des OGM, de devenir vecteur de transgènes et d’être ainsi lui-même une source de contamination. C’est également tout le long travail de sélection et d’adaptation de la variété à son terroir, à ses méthodes de culture, qui peut être perdu.
Même si le dispositif expérimental présente des limites (effet d’échantillonnage, faibles répétitions, etc.), l’Inra s’était engagé à publier des premiers résultats dès la fin de l’année 2011. Mais depuis, l’Institut est resté silencieux et n’a publié aucun résultats ni reconduit l’étude. Pour Elodie Gras, « nous ne rendons pas public nos résultats car la convention tripartite stipule qu’on ne peut le faire sans l’accord des trois signataires. L’Inra nous renvoie que les résultats obtenus ne sont pas assez solides… mais ce sont eux qui ont mis en place le protocole expérimental que nous avons suivi. Cela reflète le peu de moyens alloués à l’étude, Antoine Messéan, chercheur Inra pilote de l’étude, ayant eu du mal à rassembler les fonds nécessaires pour cette expérience de recherche participative ».
Demande de transparence
En janvier 2014, las du silence et malgré la publication dans un rapport des premiers résultats par Bio d’Aquitaine, le RSP, Agrobio Périgord et divers collectifs anti-OGM aquitains interpellent par courrier l’Inra, des élus et les ministères en charge de l’agriculture et de l’écologie pour dénoncer la situation et affirmer que « les résultats sont amplement suffisants pour montrer que la coexistence entre maïs OGM et maïs population (utilisé en particulier en agriculture biologique) est impossible. La seule interrogation qui peut subsister ne concerne que la modélisation du pourcentage précis de contamination ». [...]
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Article de Mickaël Correia paru dans le numéro 435 de Transrural Initiatives (avril 2014)
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