Sébastien Treyer : le double dividende de l'agroécologie

Étude/Synthèse/Article
Langue(s) : Français
Thématiques : Agriculture durable, Climat et énergie

Sébastien Treyer est directeur des programmes à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).

Il rappelle que, pour les pays du Sud, l'agroécologie a pour avantage de répondre à la fois au défi climatique et à celui de l'emploi. 

Les changements climatiques pourraient se traduire par une diminution des rendements. L’agriculture pourra-t-elle nourrir le monde en 2050 ?

Les études, comme celles de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), se focalisent trop sur les rendements. Il faut aussi agir sur la demande. Un consommateur du Nord ou faisant partie des classes aisées au Sud dispose en moyenne de 4 000 kilocalories par jour, soit 30 % de plus que nécessaire.

Ceci posé, pour les petits paysans du Sud, qui représentent les deux tiers des victimes de la faim, accroître et mieux commercialiser leur production est essentiel : plus que le manque global de nourriture, c’est leur capacité ou non à dégager des revenus de leur travail qui explique l’insécurité alimentaire. A cet égard, deux logiques s’opposent. La première repose sur des olutions technologiques pour adapter l’agriculture aux changements climatiques et réduire ses émissions : variétés à haut rendement, usage raisonné des engrais chimiques, agriculture de conservation, systèmes d’assurances face aux aléas climatiques. Cette logique conduit à la spécialisation. Face à elle, les tenants de l’agroécologie misent sur une diversification des
productions jouant sur la complémentarité des cultures et les potentialités des écosystèmes pour accroître les rendements, tout en limitant la pression sur les ressources naturelles.

La révolution verte et son « paquet technologique » ont été un échec environnemental, mais aussi pour vaincre la faim. La voie de l’agroécologie n’est-elle pas préférable ?

Chaque solution a sa logique et ses limites. La première fait le pari que la résilience des producteurs dépend de leur capacité à tirer rapidement des revenus de leur activité, et donc à être insérés dans un modèle industriel. Mais au risque d’être très dépendants des marchés internationaux et donc très exposés. Il suffit aussi d’une récurrence de sécheresses sur quelques années pour que le système s’écroule…

L’agroécologie prend, quant à elle, davantage en compte l’ensemble des services environnementaux rendus par les écosystèmes et assure une plus grande diversité des productions. Ce modèle serait certes meilleur en termes de résilience, mais aussi en termes de nutrition. Toutefois, remplacer les engrais minéraux par du fumier n’empêche pas les émissions de gaz à effet de serre, compte tenu du méthane émis par les ruminants. Et si ce système semble préférable, il n’y a pas d’étude globale, sans biais scientifique, mesurant tous ces aspects et montrant que les résultats positifs observés au niveau local sont généralisables.

Pourquoi ces débats ne font-ils pas l’objet d’un traitement spécifique dans la Cop 21 ?

Si on les avait introduits, le risque de ne pas parvenir à un accord aurait été très élevé. Les pays du Sud ne veulent parler que d’adaptation et de sécurité alimentaire, alors que les pays du Nord veulent aussi évoquer la réduction des émissions de l’agriculture ! De plus, choisir entre les deux logiques ne dépend pas seulement des changements climatiques.

Le défi pour les pays du Sud est avant tout démographique. Quelle place souhaitent-ils accorder à l’agriculture dans leur économie ? Et quelle est la capacité des autres secteurs à créer des emplois pour absorber les jeunes générations et les paysans qui ne peuvent pas continuer à produire en raison de la taille trop petite de leurs exploitations, ou encore ceux qui seront victimes
de ces changements climatiques ? Le principal avantage de l’agroécologie serait de ralentir la diminution de la population active agricole en permettant aux Etats de passer plus facilement
d’une société reposant sur l’agriculture vers une société avec une économie plus diversifiée. [...]

Propos recueillis par Laurence Estival

 

Article issu du numéro spécial d'Alternatives Economiques "Risque climatique, défi alimentaire", réalisé en partenariat avec le CFSI, dans le cadre de la campagne ALIMENTERRE et de la mobilisation autour de la COP21.