Une épreuve commune pour les éleveurs européens et africains
Stocker le lait face à la réduction des débouchés pendant la crise sanitaire, une bonne idée ? Ce procédé n'est pas sans conséquence sur le futur prix du lait payé aux éleveurs et sur les équilibres internationaux.
La consommation de lait est en berne dans de nombreux pays européens du fait notamment de la réduction des débouchés (fermeture de la restauration collective et de nombreux marchés…). Au lieu de mettre en place un plan européen de réduction des volumes, la Commission européenne a décidé de privilégier le stockage.
Or, qui dit « stockage » aujourd'hui dira « déstockage » demain. Comme par le passé, ce dernier tirera vers le bas les prix payés aux producteurs européens pendant de longs mois. Le 7 mai dernier, en France et dans d’autres pays d’Europe, des éleveurs ont épandu de la poudre de lait dans leurs champs en signe de protestation contre ces mesures (photo ci-contre).
Défaillances structurelles
Cette crise ne fait que révéler les défaillances structurelles de notre système agricole et alimentaire industrialisé, qui touchent tous les paysans, y compris ceux d’Afrique de l’Ouest. En effet, ces stocks de poudre de lait seront exportés massivement en Afrique de l’Ouest, à un prix défiant toute concurrence, ruinant les éleveurs locaux, déjà touchés par les crises sanitaire et économique. Le cas du lait illustre un problème plus général.
Des filières locales écrasées par le dumping européen
En Afrique de l'Ouest, une paysannerie dynamique procure 75 % de l'alimentation des citadins dont le nombre ne cesse de croître, tout en fournissant l'essentiel de la nourriture des ruraux. Certes, l’Afrique de l’Ouest dépend des importations pour certains produits (riz, sucre, lait…). Mais derrière cette réalité, ce sont surtout des filières locales qui sont étouffées par les exportations étrangères de produits à bas coût (ce que l’on appelle communément le dumping) et il ne leur est même pas donné la chance de se développer, de prospérer et de subvenir aux besoins de leur population.
Le phénomène n’est pas nouveau. Déjà en 2004, le Comité Français pour la Solidarité Internationale et Oxfam (alors dénommé Agir Ici), aux côtés d’autres organisations, dénonçaient le dumping de poulet congelé européen sur les marchés africains, dans une campagne au nom évocateur, « l’Europe plume l’Afrique » .
Du lait low-cost, réengraissé à l’huile de palme
Aujourd’hui, il s’agit de lait. En réalité non, il ne s’agit pas de lait, c’est bien ça le problème. Il s’agit de poudre de lait, mélangée avec de la matière grasse végétale. La poudre est dégraissée (la matière grasse, à forte valeur ajoutée, est utilisée pour le beurre et la crème pour être vendue au prix fort), puis ré-engraissée, souvent avec de l’huile de palme, 12 fois moins chère que la matière grasse laitière. Ce « faux lait » vendu environ 30 à 40 % moins cher que le lait local, constitue une concurrence déloyale pour la filière lait local en Afrique de l’Ouest et plombe les débouchés pour des centaines de milliers de petits éleveurs.
Depuis la crise de la Covid-19, les États européens n’ont de cesse de se préoccuper de leur souveraineté alimentaire. Qu’ils protègent d’abord leurs propres agriculteurs et leur garantissent un revenu rémunérateur, sans compromettre la souveraineté alimentaire d’autres pays et mettre des agriculteurs en péril en Afrique de l’Ouest.
Mai 2020
Hélène Botreau
chargée de plaidoyer Sécurité Alimentaire et Agriculture, Oxfam France
&
Pascal Erard
responsable du plaidoyer, Comité Français pour la Solidarité Internationale
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