François Collart Dutilleul : "Développer le concept de démocratie alimentaire"
La cérémonie de remise du 4ème Prix ALIMENTERRE s’est tenue au ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation le 18 mai 2017, en la présence de François Collart Dutilleul, spécialiste des questions juridiques liées à la sécurité alimentaire, professeur émérite des universités et membre correspondant de l'Académie d'Agriculture de France. Il est intervenu pour féliciter les jeunes impliqués et défendre le concept de démocratie alimentaire.
"S’il y a 800 millions de personnes dans le monde qui ne mangent pas à leur faim : c’est parce qu’il y a des règles qui font que le système fonctionne comme cela. Le droit regarde ailleurs, il oublie de s’intéresser à cela. Et quand on fait confiance aux lois de l’économie, de la nature, aux lois de la science ou aux lois de la morale, cela donne 800 millions de personnes qui meurent de faim.
C’est une leçon qui m’a parue suffisante pour qu’un juriste s’intéresse à cela et se dise « j’y peux peut-être quelque chose ». Nous avons besoin de nourrir la loi de la société avec ce que vous avez dans votre imagination, dans vos rêves. Ce qui est porté par votre joie, votre citoyenneté, votre professionnalisme et votre solidarité.
A nous de le mettre en œuvre. On me demande ce que c’est que le droit. C’est très simple : le droit est un langage social qui porte les valeurs qu’une société se donne à elle-même. On choisit des valeurs – celles que l’on voudra – mais elles doivent se voir dans les politiques publiques qui deviennent des lois.
Les juristes donnent forme à ces valeurs comme ceux d’entre vous qui ont donné forme aux rêves de leurs voyages. Vous avez écrit, que ce soit avec des mots ou des images, car vous avez reconnu des valeurs sociales et humaines qui vous ont poussés à accueillir, à aider. Les juristes mettent en mots les valeurs qu’une société a choisi de promouvoir.
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Si on va en Afrique et qu’on y investit en captant la terre pour l’exportation au détriment des africains, alors on aura pris la terre, ce qu'elle produit et l’argent que la production rapporte. Il ne faut pas ensuite s’étonner que les personnes que l’on a dépossédées des richesses et de leurs ressources naturelles aient envie de nous rejoindre. Il y a un lien très étroit entre la solidarité humaine et la solidarité qu’on manifeste dans la manière de manger. Notre assiette témoigne d'une image du monde. Et en mangeant comme nous le faisons, nous avons l'occasion de voter trois fois par jour, en composant le contenu de notre assiette, sur l'image du monde que nous voulons voir dans nos assiettes. C'est une forme originale de démocratie.
C’est pourquoi, en complément de la souveraineté alimentaire, j'ai voulu développer le concept de démocratie alimentaire. Cela veut dire avant tout que rien ne doit être fait sans prendre en considération la volonté des populations. Cela conduit à penser avant tout à la personne, avant la marchandise, et avant l'argent du commerce. En faisant cela chacun à son échelle, on peut bousculer un monde qui ne bouge pas. Et cela ira d’autant mieux que vous le ferez bouger vous-mêmes, alors allez-y ! »