La stratégie laitière mortifère de la Commission européenne

Étude/Synthèse/Article
Langue(s) : Français
Thématiques : Elevage, Politiques agricoles et alimentaires

Le magazine Transrural Initiatives publique l'analyse d’André Pflimlin, ancien ingénieur à l’Institut de l’élevage, sur les causes des dernières crises laitières.

En 2015 comme en 2009, en pleine crise laitière, le discours reste le même à Bruxelles et à Paris. Pour Phil Hogan, le libéral commissaire européen à l’Agriculture et au Développement rural, « les perspectives de marché étant bonnes à long terme et l’Europe ayant un potentiel important de croissance laitière, nous devons produire plus et exporter plus ». Même son de cloche du côté de Xavier Beulin, président de la FNSEA : « Il faut accélérer la modernisation et la concentration des exploitations d’élevage pour les rendre plus productives et plus compétitives ». Pour ces décideurs rêvant du grand export, la volatilité des prix mondiaux à court terme semble être un aléa secondaire qu’il revient aux éleveurs d’anticiper et de gérer. Le marché mondial des produits laitiers ne porte que sur 7 % de la production totale, soit 55 millions de tonnes équivalent-lait (Mt eq-lait) en 20133, et la progression de ce marché solvable est de l’ordre de 1,5 à 2 Mt eq-lait par an. Il s’agit principalement d’un marché de produits industriels standardisés (poudres de lait) donc très concurrentiel. Trois exportateurs, aux modes de production très différents, fournissent plus de 70 % du marché mondial : la Nouvelle-Zélande, les États-Unis et l’Union européenne (UE). Une bonne ou une mauvaise année chez l’un des trois fait chuter ou flamber les prix mondiaux.

Un contexte de surstocks et de prix déprimés

La crise laitière de 2015 est d’abord le résultat logique de la dérégulation programmée par la Commission européenne, validée par le Conseil. En 2014, année favorable pour le prix du lait et pour la production de fourrages et de grains, la production laitière a augmenté simultanément et fortement chez les trois plus gros exportateurs mondiaux, provocant sur le marché mondial un surplus de lait de 11 Mt, dont plus de 6 Mt provenant de l’UE. Tout le monde s’en réjouissait, notamment en Europe, car le prix du lait était encore élevé. Or, dès l’été 2014, la crise était non seulement prévisible mais déjà à notre porte ; en août, l’embargo russe sur les produits laitiers fermait un gros marché pour l’UE (2 Mt eq-lait par an) et la Chine avait nettement réduit ses importations pour mieux protéger sa production laitière interne. Malgré ces deux signaux majeurs, l’Europe, dont le verrou des quotas sautait au 1er avril 2015, a continué à produire plus de lait qu’au printemps 2014 pourtant record, ceci malgré un prix en baisse de 20 à 30 % ! Ces surstocks pèsent dès lors lourdement sur les cours mondiaux, tombés au niveau de 2009.

Plus aucun filet de sécurité

La Commission européenne a délibérément programmé la guerre du lait, en mettant toute l’Europe en compétition, sans vérifier les règles du jeu, sans évaluer l’importance du dumping social et environnemental. Et sans nouvelles mesures de sécurisation du revenu des éleveurs européens. Fin 2014, la contractualisation entre éleveurs et laiteries, mesure phare du « Paquet lait »4, ne couvrait que 20% de la production et n’apportait pas de garantie de prix. Aujourd’hui, avec un prix du lait moyen à 300 € la tonne, plus d’un éleveur européen sur deux travaille à perte. C’est le cas des Danois : champions d’Europe pour leurs performances par vache et par travailleur mais derniers de la classe en termes de revenu depuis dix ans du fait du surendettement. Les systèmes herbagers irlandais, avec des coûts de production proches du modèle néozélandais, résistent mieux à ce prix. Mais ce lait étant principalement transformé en poudre, il tire le lait européen vers le prix mondial et contribue ainsi à éliminer les petits producteurs des régions laitières européennes moins favorisées.

 

André Pflimlin (notamment auteur de L'Europe laitière, paru en 2010), article paru dans Transrural Initiatives n°449 d'octobre 2015

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