Le jour où le poulet camerounais a eu des dents

Étude/Synthèse/Article
Langue(s) : Français
Thématiques : Elevage, Commerce international

Le magazine Altermondes revient sur l'interdiction d'importer au Cameroun des poulets congelés en provenance d’Europe. Une mobilisation inédite des consommateurs qui avaient refusé de succomber aux sirènes du plus bas prix avait abouti à cette décision en 2006. Aujourd'hui, la production avicole couvre 90 % de la demande nationale. (Photo : Manifestation contre les importations de poulets congelés au Cameroun © P. Chibani-Jacquot )

Au Cameroun, les fêtes de fin d’année marquent traditionnellement un pic de consommation de volaille. Les marchés sont bondés et le poulet DG ou en sauce se doit de garnir les tables des familles. En 2013, quatre millions de poulets ont été vendus dans le pays en quelques semaines, soit près de 10 % de la demande annuelle. Et en 2014 pour la deuxième année consécutive, les producteurs nationaux devraient être en capacité d’approvisionner le marché en quantité suffisante afin d’éviter une augmentation des prix générée par la pénurie. Jusque-là, le prix du poulet en période de fête était fixé par les autorités publiques en contrepartie de subventions aux avicultures.

Une belle renaissance pour un secteur qui avait littéralement sombré au début des années 2000, la production ayant touché le fond en 2006, année de la grippe aviaire. L’épizootie faillit porter le coup de grâce à la filière, qui se délitait depuis qu’un accord avec l’Union européenne, passé en 1995, autorisait l’importation des découpes de poulet congelé en provenance de l’UE. Le poulet européen, bas de gamme et subventionné via la Politique agricole commune, provoquait un dumping sur les prix : il était vendu 900 Francs CFA le kilo sur les marchés, contre 1 900 Francs CFA pour le camerounais (soit 1,40 euro le kilo pour un poulet européen contre 2,90 euros le kilo pour une volaille camerounaise). En 2003, 22 000 tonnes de poulet européen entraient ainsi au Cameroun tandis que la production locale chutait à 13 500 tonnes. Elle était de 29 750 tonnes en 1997.

Face à cette catastrophe économique et sociale, se crée, en 2003, l’Association citoyenne pour la défense des intérêts collectifs (Acdic), qui va mener campagne aux côtés des aviculteurs. Son objectif : défendre la souveraineté alimentaire et convaincre la population et les autorités que l’interdiction de ces importations sera un bienfait pour l’économie du pays et pour les consommateurs. Dès 2004, cette mobilisation est soutenue par des ONG européennes. En France, Agir ici (devenue depuis Oxfam France), le CCFD-Terre Solidaire, le CFSI et le Gret lancent la campagne Exportations de poulets : L’Europe plume l’Afrique.

Dès 2005, le gouvernement camerounais accepte de limiter ponctuellement les importations, mais le point d’orgue de la mobilisation arrive le 17 janvier 2006. Lorsque, pour la première fois au Cameroun, une marche citoyenne réunit à Yaoundé, la capitale, 2 000 personnes venues de tout le pays. Le cortège n’avancera pas d’un mètre en raison d’une interdiction de défiler mais l’évènement, à lui seul, a marqué les esprits. La présence, parmi les manifestants, de José Bové, alors porte-parole de La Via Campesina, renforçait encore l’écho médiatique de la marche. Et il ne faudra attendre que deux mois après la manifestation pour que le ministère du Commerce officialise sa décision d’interdire, sans autre condition, les importations de poulets congelés européens. « C’est la première fois que nous parvenions à sensibiliser les citoyens, les médias et les consommateurs sur un tel enjeu », se souvient Bernard Njonga, ingénieur agronome et fondateur de l’Acdic. L’association comptait 1 200 adhérents. Et malgré l’attrait du prix bas, le boycott du poulet européen a pris parmi les consommateurs. « Nous avons été téméraires, mais surtout, notre stratégie était de prouver tout ce que nous avancions », résume-t-il. La campagne reposait sur des données chiffrées sur l’impact économique et social des importations. Par ailleurs, l’Acdic commanditait une étude sanitaire, conduite par le Centre Pasteur de Yaoundé, sur 200 échantillons de poulet prélevés sur les marchés de Yaoundé. Résultat : du fait des conditions de conservation et des défaillances dans la chaîne du froid, 83,5 % étaient impropres à la consommation, en raison de présence de salmonelle notamment. L’information du grand public fut complétée par des photos et vidéos réalisées par l’Acdic sur les piètres conditions de conservation de la viande à partir de son arrivée au Cameroun.

Huit ans plus tard, la filière avicole camerounaise se porte bien. Elle a bénéficié de 4 milliards de Francs CFA d’aides publiques pour se reconstruire et la perspective d’une sérénité retrouvée a favorisé les investissements des entreprises. Le Cameroun a produit environ 45 millions de poulets en 2013, soit un volume qui couvre 90 % de la demande nationale. Un niveau jamais atteint dans ce pays.

Aujourd’hui, 320 000 personnes travaillent directement ou indirectement pour la filière, contre 120 000 en 2006. La filière se développe principalement avec des élevages semi-industriels et industriels, cantonnant les débouchés de l’élevage paysan à l’autoconsommation et aux marchés locaux. Au sein de l’Interprofession des aviculteurs du Cameroun (Ipavic), qui fut une cheville ouvrière de la mobilisation entre 2003 et 2006, le risque d’une dérive « à l’occidentale » de l’élevage industriel inquiète peu.

« Nous savons apprendre des erreurs des autres et nous observons aussi ce qui se fait au Brésil ou en Inde, explique Jean-Paul Fouda Ottou, secrétaire permanent de l’Ipavic. La prochaine étape sera de développer les activités de transformation et nous misons beaucoup sur le modèle de cluster qui facilitera les coopérations et les synergies entre éleveurs et transformateurs. »
L’interdiction d’importer du poulet européen est maintenue depuis 2006, en dehors de quelques autorisations ponctuelles et sur des tonnages limités. La vente de découpes venant de l’Union européenne est aujourd’hui marginale et provient le plus souvent de filières illégales transitant par le Gabon ou la Guinée équatoriale voisins. [...]

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Philippe Chibani-Jacquot - Journaliste


 

Creuser le sujet :

- Film, Les cuisses blanches, 2008

- Sensibilisation, Le poulet plumé, jeu de rôle pour s'initier à la souverainté alimentaire, 2010

- Témoignage, Au Bénin, les produits du terroirs n'ont pas dit leur dernier mot, 2014