Peste porcine : élevage industriel et pandémies en série
Les élevages de porcs chinois sont toujours sous le coup d'une énorme épidémie de peste porcine africaine (PPA) qui a anéanti près de la moitié du cheptel national. Venue d'Europe de l'Est, cette maladie animale ne présente pas une menace directe pour la santé humaine, mais son coût économique se chiffre en centaines de milliards de dollars. Grain montre comment l'élevage industriel est à la fois la cause et le grand vainqueur de la crise.
La vague actuelle d’épidémies de PPA en dehors de l’Afrique a commencé dans un pays d’Europe de l’Est, la Géorgie, en 2007. Auparavant, cette souche particulière de PPA n’avait été détectée qu’en Zambie, à Madagascar et au Mozambique. La grande majorité des porcs morts de cette pandémie étaient élevés dans des fermes industrielles et les principaux vecteurs de la propagation de la maladie sont les usines de transformation de la viande, les mouvements de porcs vivants et les chaînes d’approvisionnement en aliments pour animaux contrôlées par les grandes entreprises d’élevage porcin. Les foyers épidémiques sont concentrés dans des zones géographiques où les petites exploitations porcines sont rapidement remplacées par de grandes sociétés d’élevage porcin.
Dans l’UE une indemnisation est accordée aux éleveurs s'ils ont enregistré leurs porcs. Mais la plupart des petits éleveurs n’enregistrent pas leurs porcs, car ils devraient alors se conformer à des réglementations européennes inadaptées à la taille de leurs exploitations. Des villageois roumains ont organisé des milices pour protéger leurs porcs des abattages et, en Bulgarie, les agriculteurs ont bloqué les principales autoroutes pour protester contre les mesures sur la PPA dans leur pays. Dans les deux pays, des maires ruraux ont refusé de se conformer aux décrets du gouvernement national. Mais au plus haut niveau, peu de choses ont changé et la PPA poursuit son carnage dans les fermes industrielles d’Europe de l’Est. L’année 2019 a été la pire année jamais enregistrée pour les flambées de PPA en Europe, et les premières semaines de 2020 ont vu de nouvelles flambées massives dans des fermes industrielles en Roumanie et en Bulgarie.
Ce n’est qu’une question de temps avant que la PPA ne se déplace plus à l’ouest. Mais, pour l’instant, c’est le mouvement vers l’est de la maladie qui détruit les porcs dans des proportions gigantesques. La Chine abrite la moitié des porcs du monde.Les premières flambées se sont produites dans le nord-est du pays, la maladie y circulait probablement depuis mars 2019. En août, lorsque la PPA a été officiellement signalée pour la première fois, la maladie était déjà présente sur le marché des porcelets de la région, dans son secteur d’élevage industriel et au sein de la chaîne d’approvisionnement du numéro un mondial de la production de porc, du Groupe WH – une société chinoise qui possède également Smithfield, la plus grande entreprise porcine aux États-Unis, en Roumanie et en Pologne.
On ne sait pas comment le virus a pu atteindre la Chine. Il y a très peu d’informations sur le rôle des entreprises d’alimentation animale dans la propagation de la maladie. Bien que le gouvernement chinois et certaines grandes sociétés d’alimentation animale aient reconnu que les aliments industriels étaient un vecteur clé de la propagation de la maladie, très peu de mesures semblent avoir été prises pour faire face à cette menace. En septembre 2018, le gouvernement a interdit les produits à base de protéines sanguines de porc qui sont couramment utilisés dans les aliments pour animaux, y compris les aliments pour porcs, après que des tests ont révélé que 95 % des échantillons étaient positifs à la PPA. Mais il a ensuite immédiatement reculé, après un lobbying intense de la part des principaux transformateurs de viande, ce qui leur a permis de vendre le produit si le test était négatif. Peu après, en décembre 2018, les autorités douanières de la province de Tianjin ont annoncé qu’elles avaient trouvé le virus de la PPA dans une cargaison de 73,93 tonnes de protéines de sang de porc produites par l’une des plus grandes entreprises d’élevage porcin et de transformation de la viande du nord-est.
La PPA s’est très rapidement propagée de la Chine vers d’autres régions de l’Asie :Vietnam, Cambodge, Mongolie, Corée du Nord, Laos, Myanmar, Philippines, Corée du Sud, Indonésie et Timor oriental.
Les multinationales de la viande n’ont pas créé la PPA. Mais elles ont créé les conditions d’une pandémie mondiale de la maladie qui a entraîné la mort de centaines de millions de porcs au cours de la dernière décennie. Et la PPA n’est qu’une des nombreuses nouvelles pandémies touchant le bétail qui ont été propagées par l’industrie, dont certaines peuvent se propager à l’homme, comme la grippe aviaire, la grippe porcine et les coronavirus comme le syndrome de la diarrhée aiguë du porc.
Ces grandes entreprises veulent nous faire croire qu’il n’y a qu’une seule façon de répondre à la PPA et à la liste croissante des agents pathogènes mortels pour le bétail. Leur approche se fonde sur la vulnérabilité de leurs exploitations, où des milliers de porcs génétiquement uniformes sont entassés dans des porcheries et engraissés pour être commercialisés le plus rapidement possible. Les porcs de ces fermes sont si vulnérables aux maladies et les conséquences économiques des épidémies qui les frappent sont si importantes qu’il faut empêcher l’entrée de tout agent pathogène et tout contact possible avec le milieu environnant. Il est maintenant devenu pratique courante dans les plus grandes fermes industrielles de garder les travailleurs confinés dans les locaux pendant des semaines afin de minimiser les risques d’introduction accidentelle d’agents pathogènes avec leurs bottes ou leurs vêtements. Mais, quelle que soit la sévérité de ces mesures, des épidémies continuent de se produire, avec des conséquences catastrophiques.
Les gouvernements et les grandes entreprises d’élevage porcin ont défini conjointement des réponses aux épidémies de PPA qui protègent ces entreprises et pénalisent les petits agriculteurs. Des manifestations d'agriculteurs ont eu lieu dans de nombreux pays pour protester contre les réponses apportées à la crise. Grâce à la flambée des prix, les grandes entreprises du secteur de la viande tirent d’énormes profits de la pandémie de PPA (par exemple comme Smithfield en exportant vers la Chine les porcs brésiliens et américains) et l’utilisent pour renforcer leur contrôle sur l’approvisionnement mondial en viande.
Voir aussi sur le site de Grain : De nouvelles recherches suggèrent que l'élevage industriel, et non les marchés de produits frais, pourrait être à l'origine du Covid-19