Mali : quels modèles économiques pour les projets d'investissement agricole ?
Avec ses 100 000 ha de terres irriguées, l’Office du Niger (ON) compte parmi les plus grands aménagements hydro-agricoles du continent africain et contribue fortement à la sécurité alimentaire du Mali. Initié par la France dans les années 1920 pour satisfaire les besoins d’approvisionnement en coton de son industrie textile, les autorités maliennes ont réorienté la production de l'ON vers la culture du riz. Mais avec la crise alimentaire et financière de 2008 et le boom des agrocarburants, les opérateurs privés réinvestissent la zone.
De nombreux observateurs appellent à des modèles d'investissement agricole qui impliquent davantage les agriculteurs familaux et permettent un partage des bénéfices. Cette étude de l’IIED (International Institute for Environment and Development) répond à un besoin d’examiner des exemples de modèles d’investissements privés à grande échelle qui pourraient être considérés comme vertueux :
- un projet de production de biodiesel par Mali Biocarburant SA (MBSA) dans la région de Koulikoro avec un modèle économique qui n’implique pas l'acquisition de terres et qui inclut les petits producteurs. Les agriculteurs intercalent le jatropha avec les cultures vivrières pour fournir l’unité de transformation et combattre l'érosion des sols. Ils sont organisés en coopératives et sont représentés au conseil d’administration de la société ;
- le Projet Sucrier de Markala (PSM) situé dans la région de Ségou qui donne un exemple de partenariat «public-privé», avec un volet agricole (14 132 hectares de plantation de canne à sucre) et un volet industriel (production de 190.000 tonnes de sucre et 15 millions de litres d'éthanol par an, et cogénération d'électricité).
Les deux projets sont innovants et font la promotion de l'inclusion des agriculteurs locaux ainsi que de la prise en compte des questions sociales et environnementales. Cependant, ils montrent aussi que la réalisation concrète de ces objectifs est loin d’être acquise. Dans le cas de MBSA, des problèmes de communication entre l'entreprise et les agriculteurs membres des coopératives, ainsi que des difficultés de production agricole, mettent en péril la viabilité de l'entreprise. Dans le cas du PSM, certaines clauses du contrat passé avec le gouvernement malien avantagent de façon disproportionnée l’investisseur privé. En outre, une partie de la communauté locale s’est mobilisée contre le projet.
Bien que les efforts du gouvernement malien pour promouvoir une meilleure gouvernance dans les décisions affectant le foncier soient reconnus par les auteurs du rapport (expérimentation de "l'espace d'interpellation démocratique" par exemple), il formulent des recommandations pour aller plus loin :
- adapter la durée des baux fonciers aux projets d'investissement ;
- assurer les prises de participation pour les propriétaires fonciers locaux, afin de leur permettre de bénéficier du projet dans le moyen et long terme ;
- exiger l'approbation par le Parlement pour les attributions de terres au-dessus d'une certaine superficie et publier tous les contrats ;
- renforcer la compétences des fonctionnaires qui négocient les contrats;
- et surtout, diversifier les modèles d'investissement agricole, en développer de nouveaux qui permettent aux agriculteurs familiaux d'avoir accès à la location des nouvelles zones cultivables. Les exploitations familiales ont montré qu'elles peuvent investir, et bien investir si elles sont appuyées de façon adéquate.
Lire aussi :
- l'interview du Président de la Coordination nationale des organisations paysannes (CNOP) du Mali: La situation politique et accaparement des terres au Mali
- le rapport de l'Oakland Institute "Comprendre les investissements fonciers en Afrique : rapport Mali"