Mettre l'enjeu climatique au cœur de la réflexion
Les agriculteurs sont les premiers à observer les effets du dérèglement climatique sur leurs activités. Sécheresse, inondations, pluies diluviennes… L’Afrique de l’Ouest paie un lourd tribut, malgré sa faible contribution aux émissions de gaz à effet de serre. Pour faire face aux aléas grandissants de la météo sur les cultures, le système agricole productiviste ne pourra pas être la solution aux problèmes qu’il a lui-même provoqués.
Le principal facteur de vulnérabilité de l’agriculture sahélienne est le réchauffement climatique. Comme dans le reste du monde, les températures moyennes augmentent, mais l’Afrique de l’Ouest est une zone particulièrement exposée : c’est une des régions où le réchauffement est le plus rapide (+0,9°C entre 1970 et 2010 contre +0,7°C sur l’ensemble de la planète). « Il faut d’ores et déjà réfléchir à des mesures d’adaptation qui soient à la fois scientifiquement pertinentes et socialement acceptables, le climat d’aujourd’hui ayant déjà un impact sur les ressources des populations rurales », avertit le climatologue Benjamin Sultan, coauteur du 6e rapport du Giec. Le groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat multiplie les avertissements, indiquant que la sécurité alimentaire sera de plus en plus fragilisée par les changements climatiques.
Un renforcement des inégalités
« À changement climatique égal pour tous les pays, les pays du Sud sont beaucoup plus vulnérables. Leurs agricultures sont davantage dépendantes de l'environnement naturel que ne le sont celles des pays du Nord, plus artificialisées, qui irriguent, mettent beaucoup d'engrais et utilisent des machines gigantesques qui modifient la nature du sol », souligne Emmanuel Torquebiau, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), auteur de l'ouvrage Changement climatique et agricultures du monde.
Les sécheresses à répétition et la pluviométrie fluctuante rendent la tâche des femmes du Sahel encore plus éreintante car les points d’eau se tarissent et le bois se fait rare. Elles doivent marcher encore plus », décrit Mariam Diallo Drame, militante écologiste malienne, présidente de l’Association femmes, leadership et développement durable (Afled).
« Quand les aléas climatiques détruisent les récoltes, les femmes perdent leur faible pouvoir d’achat. De fait, en Afrique, le changement climatique aggrave les inégalités déjà fortes. » Dans les zones rurales, les femmes sont ainsi les premières à perdre le peu d’indépendance financière qu’elles gagnaient grâce à l’agriculture.
Des périodes de soudure plus longues
Au Sénégal, l’année 2022 a connu un trop-plein de pluies dans la région centre, à Kaolack et Kaffrine. Au lieu d’être une bonne nouvelle pour les cultivateurs, cette eau est arrivée au moment de la maturité des récoltes et a principalement dégradé la production d’arachides. « Au moment même où on devait avoir du soleil pour sécher la coque, il a plu », explique El Hadji Thierno Cissé, coordinateur de la cellule appui technique du Conseil national de concertation des ruraux (CNCR) du Sénégal . « Les conséquences sont graves. Ce qu'on appelle les périodes de soudure, où les paysans n’ont plus aucun stock à vendre, s’allongent. »
Pour mieux suivre ces changements, le CNCR a réalisé une étude sur la typologie des exploitations familiales. Au Sénégal, plus de 60 % de ces exploitations se nourrissent de leurs récoltes pendant trois mois au maximum.
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Cet article est extrait de la publication L'espoir au-delà des crises, solutions ouest-africaines pour des systèmes alimentaires durables, 3ème tome d'une série d'ouvrages collectifs édités par le programme Pafao.