Ibrahima Coulibaly "Soutenir le monde paysan, c'est soutenir la paix"
Ibrahima Coulibaly, paysan malien, président du Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest (Roppa), préface la publication L'espoir au-delà des crises, solutions ouest-africaines pour des systèmes alimentaires durables sortie en septembre 2023.
"Ces dernières décennies, toutes les politiques agricoles et alimentaires vendues aux pays pauvres se sont révélées désastreuses. Elles n’ont pas permis d’atteindre ladite sécurité alimentaire. Elles n’ont pas amélioré la performance des économies et se sont révélées destructrices en emplois, en démotivant les jeunes du secteur agricole. On se trouve face à une insécurité endémique, parce que ces jeunes, sans avenir dans le secteur agricole, n’ont que deux options : soit ils vont chercher de l’or qu’ils ne trouvent souvent jamais, soit ils se tournent vers des groupes armés qui leur offrent un salaire mensuel.
Ce que nous demandons aujourd’hui, ce sont des politiques cohérentes et justes. Comment mobiliser les ressources pour faire face aux besoins réels de l’autonomie alimentaire de la région ? Comment les gérer de façon inclusive, transparente, pour qu’elles aient réellement un impact sur le monde paysan ? Comment les productions agricoles de la région seront-elles protégées contre les dérives du marché mondial ? Si on ne répond pas à ces questions de fond, je pense qu’on restera dans le statu quo, pas dans des politiques de relance et de résilience.
Le Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest (Roppa) a été construit avec l’ambition de nouer un dialogue constructif avec les autorités à différents niveaux, de discuter de politiques publiques qui puissent soutenir la population ouest-africaine. Il faut rappeler que les paysans représentent 65 à 70 % de la population de l’Afrique de l’Ouest.
On pose avant tout cette question de fond : où vont les budgets de nos ministères ? Nos gouvernements disent qu’ils ont dépassé le seuil d’au moins 10 % des budgets nationaux affectés au secteur agro-sylvo-pastoral et halieutique, engagements qu’ils ont pris en 2003 à Maputo lors du sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine. Mais où va cet argent ? Les paysans et les paysannes n’en voient pas la couleur. Nous ne constatons pas en milieu rural des investissements plus importants et plus appropriés qui témoignent du respect de ces engagements et qui sont susceptibles d’induire la croissance agricole souhaitée.
L’incohérence totale des politiques est à la base de notre vulnérabilité et de notre pauvreté. Tant que l’on ne comprend pas que c’est principalement le problème de la gouvernance des administrations des services d’État qui bloque tout progrès, et non le manque de ressources, on ne peut pas avancer.
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) aurait pu catalyser une bonne politique agricole mise en œuvre au niveau régional et dans les pays pour changer la vie des populations, notamment en milieu rural. Cela a été l’espoir de tous, surtout de nos réseaux d’OP. Mais, à notre plus grande déception, l’intégration régionale s’est complètement déconnectée de son objectif premier, qui était de construire une vraie politique agricole, alimentaire, économique et régionale. Une politique qui allait sortir les populations de la vulnérabilité et de la pauvreté. Malgré de bonnes orientations, la Cedeao n’a pas su garder le cap dans la mise en œuvre pour aller véritablement vers la souveraineté alimentaire. La politique de la Cedeao n’a pas fait cela.
Pour le Roppa qui représente les exploitations familiales, système de production dominant, cette situation est extrêmement grave. Notre engagement et nos espoirs sont déçus. La situation est encore plus difficile et plus complexe au niveau national. Nos administrations des services agricoles sont revenues en arrière, avec des approches de prédation et d’exclusion : rien ne se fait sur le terrain, rien ne se fait avec la profession agricole, qui est totalement marginalisée dans la vie politique, agricole et alimentaire dans bien des pays.
La guerre dans le Sahel est due à la paupérisation du monde rural
Pourquoi les jeunes ne voient-ils plus d’avenir dans l’agriculture ? Cela remonte à loin, il y a eu toute une déconstruction du métier de paysan. L’activité a été complètement dévalorisée. C’est cette image qu’il faut casser pour redonner espoir à une jeunesse qu’on peut très facilement former. Elle peut réaliser des productions diverses, durables et très rentables à condition que le marché soit un tant soit peu protégé et qu’il y ait des mécanismes de soutien à l’installation des jeunes, avec des crédits adaptés. [...]"
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Dans le Dagana (Nord Sénégal), comme dans la plupart du Sahel, l'élevage est la principale source de revenu des familles. © Gret
Cette préface est extraite de la publication L'espoir au-delà des crises, solutions ouest-africaines pour des systèmes alimentaires durables, 3ème tome d'une série d'ouvrages collectifs édités par le programme Pafao.