Remettre l'alimentation au cœur de l'espace public
Le magazine Transrural Initiatives revient sur l'arrivée en France il y a 2 ans des Incroyables Comestibles. L'expérience conquiert un nombre croissant de plates-bandes et remet en question la place de notre alimentation et son accessibilité.
Photo : Début mars, les Incroyables Comestibles investissaient la cour du centre social La 20ème chaise, dans le XXème arrondissement de Paris © Chloé Marie
Samedi 1er mars 10h, une poignée de gens motivés se retrouve dans un centre social du XXe arrondissement. L’objectif ? Planter des semis de légumes gratuits et en libre-service pour lancer l’initiative Incroyables Comestibles dans cet arrondissement parisien. Le centre social La 20ème chaise, situé rue des amandiers, a accepté de se prêter à l’expérimentation en laissant libre accès à sa cour.
Planteurs chevronnés ou amateurs curieux réunis à l’initiative de Transition Paris 20, un collectif informel dont l’objet central est la relocalisation de l’économie, et d’Incroyables Comestibles Paris, qui égrène les initiatives dans les arrondissements parisiens, s’affairent autour des pots. « Je suis venue à une journée d’information organisée par Transition Paris 20. Le projet m’a intéressée et je me suis dit que c’était l’occasion de me greffer enfin à une action collective », raconte Élodie. L’atelier semis peut démarrer. Les graines et les pots sont laissés à disposition des participants qui (ré) apprennent les principes de la plantation. Du chou de Chine, quelques graines de laitue, des poireaux vivaces et bien d’autres légumes et des plantes aromatiques sont plantés à disposition de tout le monde.
L’objectif est que les habitants du quartier s’emparent de l’initiative. L’opération ne laisse d’ailleurs pas indifférents les passants et les usagers du centre social qui s’arrêtent pour s’informer sur l’atelier. Il faudra maintenant attendre que le projet germe pour attirer de nouveaux participants et démultiplier progressivement les lieux de plantation dans les rues du XXème.
Un mouvement qui essaime rapidement
Cette expérience est loin d’être isolée ; l’initiative Incroyables Comestibles, Incredible Edible en anglais, débute en 2008 en Angleterre dans la petite ville de Todmorden durement touchée par la désindustrialisation et qui connaît un taux de chômage important, apprend-on dans différents articles sur le sujet. Dans ce contexte, et pour lutter contre une situation sociale difficile caractérisée par un recours accru aux banques alimentaires, Pam Warhurst, conseillère de développement local, et Mary Clear, anciennement agent communautaire, imaginent qu’en plantant des légumes dans la ville, accessibles à tous, il serait possible de remettre un peu de justice sociale et de recréer du lien. La première réunion publique qu’elles organisent sur le sujet réunit près de soixante personnes. L’initiative se démultiplie alors dans les rues de la petite ville. « Nous voulons être inclusifs, c’est un mouvement ouvert à tous », témoigne Mary Clear dans le reportage consacré à l’initiative de Todmorden.
Il a fallu attendre 2012 pour que cette expérience traverse la Manche quand, François Rouillay, habitant de Colroy-la-Roche (Bas-Rhin) et conseiller en communication auprès des collectivités territoriales, fait des recherches sur l’insécurité alimentaire et découvre à cette occasion les Incroyables Comestibles. Il décide de se lancer dans l’aventure et le résultat ne se fait pas attendre, les pots de légumes prenant peu à peu place dans la ville. Devenu coordinateur d’Incroyables Comestibles France, il est aujourd’hui sollicité par des collectivités, des écoles et des citoyens pour présenter l’initiative.
« L’engouement pour ce mouvement vient de sa simplicité, explique François Rouillay dans un entretien diffusé sur Le chou brave TV.Il suffit de quelques personnes motivées pour lancer une dynamique collective qui prend petit à petit de l’ampleur. » Et de l’ampleur, le mouvement en a pris en six ans d’existence ! En France, difficile de compter le nombre d’initiatives qui émergent tant elles sont nombreuses. Le mouvement s’étend même bien au-delà des frontières de l’Europe.
Vers une autosuffisance alimentaire ?
L’initiative d’Incroyables Comestibles vise « à rendre les territoires autosuffisants pour l’alimentation par la production locale », peut-on lire sur le site d’Incroyables Comestibles France. Arriver à une autosuffisance alimentaire sur les territoires, à l’échelle d’une commune rien qu’en plantant des légumes accessibles à tous peut paraître ambitieux, voire utopique. Mais l’objectif initial du projet était surtout de repenser les notions de partage et de justice sociale en s’appuyant sur trois axes : économie locale, pédagogie et éducation et démarche citoyenne. Pour Pam Warhurst, la nourriture est un langage qui permet de dépasser les différences sociales, d’âge ou de culture.
Ces petites initiatives citoyennes qui fleurissent çà et là ont d’ores et déjà leurs effets.
En requestionnant la place de notre alimentation et son accessibilité, elles nous invitent à repenser nos modes de consommation. Ensuite, par les liens sociaux qu’elles favorisent, elles contribuent à renforcer les formes de solidarité et à en faire émerger de nouvelles. C’est d’ailleurs par cette question que l’initiative d’Incroyables Comestibles a commencé : « Êtes-vous partants pour changer le monde avec de la nourriture locale ? »
Quid de la compétition entre cette initiative et les maraîchers ? François Rouillay a une réponse toute trouvée : en produisant des aliments localement et disponibles en libre accès, on ouvre le chemin de la relocalisation, on réinterroge les modes de production et de distribution et finalement, on favorise la relocalisation de l’économie qui profite aussi aux producteurs locaux.[...]
Article de Chloé Marie (FNCivam) paru dans le numéro 434 deTransrural Initiatives mars 2014
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Creuser le sujet :
- Vidéo, Incroyable Maroc, lancement des Incroyables Comestibles au Maroc, 2014
- Vidéo, Les Incroyables Comestibles de Todmorden, 2012
- Note de synthèse, Consommer local, les avantages ne sont pas toujours ceux que l'on croit, 2013
- Etude, La relocalisation, l'utopie nécessaire ?, 2013