L'Afrique : quelles stratégies de sécurité alimentaire ? Enjeux et prospective
Cet article de deux chercheurs du Cirad entend battre en brèche les idées reçues, à la fois sur le manque de dynamisme supposé de l’agriculture africaine, sur la prétendue dépendance du continent aux importations alimentaires ainsi que sur le risque direct que représenteraient les accaparements de terre pour la sécurité alimentaire.
Le secteur agricole et agroalimentaire se porte bien...en temps de paix
En Afrique, les taux de croissance démographique et d’urbanisation sont souvent qualifiés de galopants. Or, malgré la perte d’intérêt pour l’agriculture des gouvernements et des bailleurs des années 70 jusqu’au début des années 2000, force est de constater que la situation alimentaire de l’Afrique ne s’est globalement pas dégradée et que la production agricole a connu une croissance significative.
La production alimentaire croît de manière soutenue depuis 1975, à un rythme similaire à l’Asie et à l’Amérique du Sud, et bien plus qu’en Amérique de Nord et en Europe. Au niveau local, on est frappé par le dynamisme, l’inventivité et la capacité d’organisation économique et sociale des acteurs locaux, en particulier les femmes, dans le secteur agro-alimentaire informel. Tout ceci constitue un gage de réussite pour les politiques publiques d’investissement dans l’agriculture.
Par contre, l’étude montre que les pays obtenant les moins bons résultats sont aussi ceux en situation d’instabilité politique. La situation politique et sécuritaire est le frein majeur à la croissance de la production alimentaire.
L’agriculture africaine nourrit les villes
Sur la période 1960-2010, la population urbaine a été multipliée par 9,5. L’urbanisation s’accompagne de changements dans les modes de consommation alimentaire. Il résulte à la fois d’un nouveau mode de vie et d’un approvisionnement via les marchés avec des revenus monétaires accrus. Jusqu’ici l’approvisionnement alimentaire des villes, y compris les grandes capitales, a essentiellement été assuré par le secteur informel à partir de productions locales.
Seuls 22 % de la dépense des ménages des métropoles ouest-africaines portent sur les produits importés. Le chiffre d’affaires des filières alimentaires locales est certainement beaucoup plus élevé que celui des filières d’exportation qui retiennent l’attention et l’intérêt des analystes et investisseurs. Or, on ne sait pratiquement rien des filières qui approvisionnent les marchés urbains en céréales et tubercules. Comment sont-elles organisées ? Régulées ? Financées ? Quels sont leurs éventuels verrous technologiques pour assurer le lien entre une production saisonnière, aléatoire, dispersée et une consommation régulière, concentrée et de plus en plus exigeante en qualité ? Comment se transmettent les prix, se partage la valeur ajoutée ? Autant de questions préalables à toute action publique soucieuse de promouvoir ces filières, ne serait-ce que pour réduire le poids des importations alimentaires.
Les accaparements de terres nourrissent les tensions et la spirale des insécurités
Face à la croissance démographique, l’enjeu principal est certainement le foncier. Pour les auteurs, ce que l’on appelle les « accaparements de terres » en Afrique ne sont pas de nature à avoir un impact direct sur la sécurité alimentaire par réduction du foncier disponible.
Toutefois :
- Localement, les tensions et frustrations peuvent être fortes et violentes. Quasiment toutes les guérillas rurales de par le monde ont des origines foncières. Lorsqu’il s’agit de fonds souverains venant d’Asie ou du Moyen-Orient qui viennent cultiver pour couvrir leurs besoins nationaux, on est en présence d’un processus néocolonial. Lorsqu’il s’agit de capitaux produits pour produire pour le marché local comme mondial (exemple du sucre), l’enjeu est que le modèle agricole soit intensif en travail avec une rémunération au moins égale à celle à laquelle elle se substitue et avec des méthodes durables.
- Une autre dimension de la question foncière réside dans le processus d’expansion. Des terres de moins en moins fertiles sont mises en culture, les jachères sont écourtées, la réduction du pastoralisme se fait au détriment de la restitution organique aux sols, les zones forestières sont réduites, les populations migrent vers des zones moins occupées. De nouveau, c’est par le foncier que s’établit le lien entre insécurité civile et sécurité alimentaire.
Briser la spirale des insécurités devrait constituer le premier objectif pour renforcer durablement la sécurité alimentaire. L’expertise agricole s’en soucie malheureusement fort peu. Par contre, les organisations régionales, comme la CEDEAO ou l’Union Africaine se sont donné des moyens d’action. Les organisations inter-étatiques ont un rôle décisif à jouer.