Pour des politiques cohérentes avec la réduction de la faim dans le monde

Étude/Synthèse/Article
Langue(s) : Français
Thématiques : Faim et malnutrition, Politiques agricoles et alimentaires, Commerce international

Préface d'Olivier de Schutter, rapporteur spécial pour le Droit à l'alimentation:

Cette brochure vient à son heure. Depuis trop d’années, la « sécurité alimentaire » a été comprise comme reposant sur la fourniture d’une aide alimentaire aux régions en crise, voire même comme passant par l’écoulement, sur les marchés internationaux, de denrées alimentaires à bas prix, car bénéficiant de subsides généreux. Le piège de l’aide s’est refermé : il a fallu d’autant plus augmenter les volumes de l’aide que ces politiques ont ruiné les filières locales, moins compétitives, des pays en développement, et que ceux-ci ont été incités à s’ouvrir aux importations de denrées alimentaires à bas prix, et à produire des matières premières pour exporter. La dépendance de la plupart des pays le moins avancés a crû dans dans proportions inquiétantes au cours des années 1980 et 1990. La crise des prix alimentaires de 2007-2008 a exposé les limites de ce modèle. Il faut à présent changer de cap.

Le droit à l’alimentation, c’est le droit pour chacun de se nourrir – et c’est, pour celles et ceux qui vivent de l’agriculture, le droit de le faire dans des conditions qui soient viables et qui leur assurent des revenus suffisants. Fonder les politiques de sécurité alimentaire sur le droit à l’alimentation, c’est donc l’inverse d’une approche humanitaire. Cela se traduit par le soutien à la capacité de produire, plutôt qu’à l’entretien d’une dépendance. Cela exige aussi des politiques participatives qui érigent les « bénéficiaires » en acteurs de leur propre destin, et qui les associent à l’identification des besoins comme des remèdes. Cela impose une exigence d’évaluation des politiques afin de s’assurer qu’elles bénéficient aux plus vulnérables, et qu’elles luttent contre la faim de manière durable – ce qu’une simple augmentation de la production agricole ne permet pas, surtout lorsque la production est concentrée entre les mains des producteurs les plus compétitifs et accélèrent la marginalisation de tous ceux, la grande masse, qui ne le sont pas.

Le Traité de Lisbonne renforce la référence aux droits de l’homme dans les relations extérieures de l’Union européenne. Il est temps à présent de passer aux actes. Il est temps que le Parlement européenne demande que des études d’impact sur le droit à l’alimentation précèdent la conclusion des négociations des accords de coopération ou d’association de l’Union européenne. Il est temps que les politiques de coopération au développement soient alignées sur des stratégies nationales participatives qui visent à réaliser le droit à l’alimentation – des stratégies fondées sur une cartographie de l’insécurité alimentaire et qui obligent les gouvernements à rendre des comptes, comme le préconisent les Directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate adoptées par les Etats membres de la FAO. Il est temps, il est plus que temps, que les pays en développement renforcent leur capacité de se nourrir eux-mêmes, et que l’aide alimentaire cesse d’être un substitut à des politiques d’appui à la production agricole. Il est temps de voir l’agriculture comme autre chose qu’un moyen de produire – mais aussi comme un moyen d’augmenter les revenus des paysans les plus pauvres, et de préserver les sols et la planète. Je formule l’espoir que cette brochure lance le débat, mais aussi qu’elle serve de guide pour l’action.