Nos politiques sont-elles favorables à des systèmes alimentaires locaux durables ?
En octobre 2015, à l’occasion de l’Exposition Universelle "Nourrir la planète" à Milan, une centaine de maires de très grandes villes de par le monde ont signé un Pacte de politique alimentaire urbaine. Un évènement qui fait partie d'un large mouvement cherchant à développer des systèmes alimentaires locaux plus durables. Un ancien responsable de la FAO nous explique pourquoi ces initiatives se limitent cependant à un nombre restreint de producteurs et consommateurs très motivés.
Local = durable ?
Les deux concepts présentent des synergies, mais ne se recouvrent pas entièrement. Une production alimentaire durable n'est pas forcément locale : les liens entre producteurs et consommateurs peuvent être très ténus et les sites de production éloignés des centres de consommation. La production locale n'est pas nécessairement durable, le maraîchage péri-urbain repose souvent sur des techniques non durables.
Alors qu'il est évident que le développement de systèmes alimentaires locaux peut contribuer à la durabilité globale, il est clair également que la production alimentaire pourrait être rendue entièrement durable (c'est-à-dire que les prix reflètent les vrais coûts de la nourriture ; tous les opérateurs de la filière sont rémunérés de façon équitable et travaillent dans de bonnes conditions, les techniques utilisées respectent l'environnement, etc.), mais non entièrement locale (une part de la production devra nécessairement se faire dans des régions relativement éloignées des centres de consommation du fait de l'augmentation de l'urbanisation).
Système en transition ?
Trois raisons principales expliquent l'intérêt que suscitent les systèmes alimentaires durables locaux au cours de ces dernières années : les producteurs se voient dictés des prix cassés, ce qui les amènent à mettre en place des filières plus courtes, de proximité ; les consommateurs ont progressivement perdu confiance envers les filières alimentaires industrielles ; une plus grande prise de conscience des problèmes environnementaux.
Sur le terrain, un nombre croissant d'initiatives visent à faire face à ces préoccupations (filières alimentaires de proximité, agriculture urbaine et péri-urbaine). Bien que les perspectives de ce mouvement soient prometteuses, il est peu probable qu'il puisse assurer à l'avenir davantage qu'une part limitée de l'alimentation (très probablement moins de 25 %) si l'environnement dans lequel il se développe reste inchangé. Les obstacles auxquels il doit faire face sont trop importants.
Systèmes alimentaires locaux désavantagés
Le système alimentaire industriel est toujours fortement avantagé, et ce à tous les niveaux :
- terre : l'agriculture de proximité est handicapée par les prix du foncier en zone péri-urbaine, la plupart des plans d'occupation des sols ne laissent que peu de place à l'agriculture ;
- financement et subventions publiques : les systèmes alimentaires locaux ne sont pas éligibles aux critères imposés par les programmes d'aide à l'installation et à la production. Les aides vont plutôt aux grandes productions industrielles, les récentes réformes de la PAC en Europe et du Farm Bill aux Etats-Unis ont montré combien il est difficile de changer cette orientation ;
- développement technologique : les centres privés de recherche n'ont aucun intérêt à développer des technologies à haute intensité de connaissances, utilisant peu d'intrants, qui seraient plus respectueuses de l'environnement. Le recherche publique a souffert de coupes budgétaires drastiques et est de plus en plus influencée par les intérêts privés ;
- formation : le nombre de formations dans le domaine de l'agriculture durable reste limité, les grands programmes de formation étant aux mains des organisations syndicales agricoles qui restent, pour le moment, partisanes d'une agriculture industrielle ;
- réglementation et contrôle : les règlementations en place sur les semences, sur l’établissement de nouvelles unités de production, sur la vente et la commercialisation, etc. sont généralement défavorables aux nouveaux programmes d'alimentation locale, qui sont aussi souvent des cibles privilégiées pour les inspections ;
- politique : les systèmes alimentaires locaux durables sont en général pas (ou mal) représentés dans les discussions des politiques agricoles et alimentaires : les grandes organisations syndicales agricoles soutiennent l’agriculture industrielle, et l’objectif principal des organisations de consommateurs reste encore surtout de maintenir les prix au plus bas ;
- caractéristiques intrinsèques des systèmes alimentaires locaux durables : elles les désavantagent par rapport au système alimentaire industriel mondialisé (caractère saisonnier et diversité moindre des produits, exigences en main d’œuvre et en investissement, faible volume d’activité qui constitue un handicap pour prendre part aux offres d’achat de la restauration collective).
Il résulte de tout cela que la plupart des projets alimentaires locaux durables restent relativement marginaux et se limitent à l'engagement de producteurs et consommateurs fortement motivés (rémunération moindre pour les producteurs, prix plus élevés pour les consommateurs). Dans de rares cas il a été possible de faire participer la masse de producteurs et consommateurs dits "normaux".
La nécessité de réformer les politiques
Certains acteurs des systèmes alimentaires locaux durables ne veulent pas voir que leur approche restera marginale tant que les politiques, qui définissent l’environnement économique dans lequel ils opèrent, resteront défavorables. Le manque de confiance envers les dirigeants politiques, résultant d’expériences passées décevantes, explique en grande partie ce point de vue.
Changer l’environnement politique ne sera pas une tâche aisée, car il s’agit d’aller à l’encontre d’intérêts économiques puissants. Mais, à moins que de nouvelles politiques ne s’attaquent aux contraintes freinant le développement de systèmes alimentaires locaux durables et éliminent les dispositions et programmes qui les menacent, ceux-ci resteront marginaux.
Source : Materne Maetz, lafaimexpliquee.org
Voir aussi : Pacte de politique alimentaire urbaine de Milan : sélection de bonnes pratiques