Poudre aux yeux : comparaison des concepts d'agroécologie, d'agriculture régénérative et de solutions climatiques naturelles
Depuis quelques années, ces 3 concepts ont émergé sur la scène internationale à l’occasion des sommets sur l’alimentation, le climat et la biodiversité. Ils font désormais référence dans les débats sur la durabilité des systèmes alimentaires. Dans cette note d’analyse, Ipes-Food revient sur leurs définitions, leurs fondements historiques, leurs poids dans les débats et la littérature scientifique et leurs implications en termes de vision transformatrice.
Agroécologie
L’agroécologie trouve sa source dans les systèmes alimentaires des peuples autochtones. Elle mêle connaissance et préservation des écosystèmes, savoirs traditionnels, patrimoine culturel et gestion communautaire. Dans les années 70 et 80, l’agroécologie a été considérée comme une alternative face à la croissance du système de production industrielle qui a accompagné la « Révolution verte ». Progressivement, le concept a dépassé le spectre de la communauté scientifique pour devenir un mouvement social à part entière, notamment en Amérique latine. La FAO s’est ensuite emparée du concept, élargissant sa définition en y intégrant des notions de justice sociale pour une juste répartition et utilisation des ressources, aboutissant en 2019 à une description partagée par les Etats membres autour de 10 éléments et 13 principes.
Agriculture régénérative
Née dans les années 60, cette notion est intimement liée à la contreculture américaine en faveur d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement et en opposition à l’utilisation massive de pesticides et d’intrants chimiques dans les systèmes de production alimentaire. Elle se focalise principalement sur une bonne gestion des sols, des cycles de culture, des réserves en eau et la préservation des écosystèmes. Cependant, sa pratique parfois centrée sur la seule réduction des émissions de gaz à effets de serre pêche par l’absence de mesures à visées sociales.
Solutions climatiques naturelles
L’utilisation de ce terme connait un véritable essor depuis les années 2000 dans une large variété de secteurs liés au changement climatique. En 2022, les solutions climatiques naturelles furent désignées comme : « les actions visant à protéger, conserver, restaurer, utiliser et gérer de manière durable des écosystèmes terrestres, d'eau douce, côtiers et marins, naturels ou modifiés, qui répondent aux défis sociaux, économiques et environnementaux de manière efficace et adaptative, tout en offrant simultanément des avantages en termes de bien-être humain, de services et de résilience des écosystèmes et de biodiversité ».
Fréquence d’utilisation dans la littérature scientifique et poids dans les débats
Si l’agroécologie est de loin celle qui a été la plus étudiée au cours de l’histoire, elle connait une décroissance d’intérêt drastique depuis 2018, peu à peu remplacée par la notion de solutions climatiques naturelles. Il est cependant à regretter cet engouement pour ce concept à la définition trop large, qui souffre d’un manque de vision claire et dont la communauté internationale reconnait qu’il ne permet pas d’embrasser correctement les enjeux liés à la perte de biodiversité, la dégradation des sols et du changement climatique.
Pour conclure, la diffusion de ces concepts vagues - dont on aurait pu penser qu’ils encouragent des changements positifs pour des systèmes alimentaires plus durables - relève en fait d’une stratégie d’entreprises du secteur agro-industriel dont l’objectif est d’entretenir le statut quo. Ainsi, les entreprises établissent des partenariats avec des acteurs de la connaissance, des organisations environnementales mondiales et des organisations philanthropiques, et mobilisent des investissements financiers importants pour soutenir leurs propres programmes.
Il est nécessaire de renforcer les perspectives transformatrices de la durabilité dans les systèmes alimentaires mondiaux, en attirant l'attention sur la perméabilité entre durabilité environnementale et justice sociale.