La production laitière en zone pastorale, l'expérience de Cécile Broutin du Gret
Agroéconomiste, Cécile Broutin est responsable des programmes Agriculture familiale et filières au sein du Gret, association française de développement qui intervient dans une trentaine de pays. Au Sénégal, le Gret soutient le nouvel essor de la production laitière locale face à une demande qui explose avec la forte croissance des villes et l’élargissement des classes moyennes.
Photo ci-dessus : équipe du projet Asstel (Gret), Sénégal
Après le projet Prolait qui ciblait les mini laiteries, comment est né ce nouveau projet du Gret dans le Nord sahélien ?
Une entreprise sénégalaise, la Laiterie du Berger, nous a sollicités en raison ses problèmes d’approvisionnement en lait local. Son unité industrielle est installée à Richard-Toll, dans le département de Dagana, à la frontière avec la Mauritanie, et sa structure commerciale est sise à Dakar. Ses concurrents basés à Dakar travaillent exclusivement avec de la poudre de lait importée. L'entreprise a beaucoup augmenté ses parts de marché à Dakar mais elle ne dispose pas d'assez de matière première locale.
Est-il vrai que les mini laiteries ne sont pas toujours efficaces pour approvisionner les villes ?
La production laitière du Nord du Sénégal est principalement issue d’un système pastoral. Les frais de collecte de petites unités installées le long du Fleuve Sénégal sont élevés en raison des distances à parcourir et de la variation des volumes de lait disponibles. Il faut drainer beaucoup de lait, comme le fait la Laiterie du Berger, pour que l’opération soit rentable. Une autre spécificité de cette région est qu’il existe très peu de centres urbains, Saint-Louis excepté. La capacité de collecte plus importante de la Laiterie du Berger est essentielle car elle transporte le lait jusqu’au marché dakarois, à plus de 300 kilomètres de là. A l’inverse, dans le Sud, en Casamance, les éleveurs sont à proximité de villes et les mini laiteries sont rentables. L'organisation de petites filières connectées aux marchés urbains est facilitée.
Comment accompagner les éleveurs peuhls éparpillés sur la zone ?
Le modèle initial a évolué vers un système décentralisé avec des centres de services de proximité. Ils sont organisés autour d’un parc à fourrage, propre à chaque groupe de villages. 17 centres sont désormais en place. Nous avons cherché à respecter la cohérence territoriale et sociale. Il s’agit de mailler le territoire, tout en évitant les conflits de leadership. Les usagers signent une adhésion pour participer au centre de services. Réunis en assemblée, ils désignent un gérant privé. Il est rétribué par une commission sur les ventes de fourrage.
Quid des relations hommes-femmes ?
La relation entre hommes et femmes est très codifiée dans le contexte social peuhl où les inégalités de genre sont plus marquées que dans d’autres milieux ruraux du Sénégal. Les hommes dominent dans la sphère publique, dans le dialogue avec les acteurs institutionnels, etc. Or, ce sont le plus souvent les femmes qui traient les vaches, donnent à manger aux animaux et vendent le lait caillé. Elles possèdent également une partie du troupeau. Quand des laiteries s’installent, ce sont les maris qui deviennent les interlocuteurs privilégiés et livrent la laiterie. Les femmes peuvent se retrouvées évincées.
Comment aider les femmes à s’exprimer et à s’impliquer davantage ?
Dans les élevages pilotes, la démarche du conseil à l’exploitation familiale est basée sur des discussions en assemblée de famille pour aborder l’ensemble des activités, dépenses, ressources. Même si ce n’est pas l’objectif premier, on note que cette démarche contribue à une plus grande implication des femmes qui est nécessaire dans la mesure où elles ont la responsabilité de certaines activités (traite, distribution des aliments aux vaches, ..). L’équipe du projet s’adresse à la fois aux hommes et aux femmes. Les femmes se sentent davantage impliquées dans les discussions et osent donner leur avis. [...]
Propos recueillis en juin 2014 par Bastien Breuil (CFSI), complétés par des échanges avec Cécile Broutin et le chef de projet au Sénégal, Guillaume Bastard et édités en mars 2015
Creuser le sujet :
- Témoignage, Guillaume Bastard du Gret : comment appuyer la filière lait sénégalaise ? 2014
- Information, Le lait, valeur montante au Sénégal, 2013
- Fiche innovation, Mini laiteries coopératives pour optimiser la collecte et la disribution de lait local, 2013